Les Huguenots, drame d’aujourd’hui à l’Opéra de Nice
Les Huguenots est un Grand Opéra écrit par Meyerbeer en 1836, qui inspira grandement les compositeurs des décennies suivantes, à commencer par Wagner, Verdi ou encore Berlioz. Et pour cause, durant plus de quatre heures (trois heures hors entractes dans la version raccourcie présentée à Nice), l’intensité musicale et dramatique ne redescend jamais, atteignant même des sommets lors des finales d’actes. Ces Grands Opéras tendent, comme leur nom l’indique, au gigantisme : chœur et orchestre massifs, nombreux solistes (disposant tous de parties d’une grande complexité technique, y compris les seconds rôles), figurants et décors, se mettant généralement au service d’un sujet historique. Les Huguenots prend ainsi place en Touraine et à Paris, peu avant la nuit de la Saint-Barthélemy.
Les Huguenots de Meyerbeer à l'Opéra de Nice © Dominique Jaussein
Le parti-pris de mise en scène de Tobias Kratzer, joliment secondé par Rainer Sellmaier (décors et costumes) est de placer d’intrigue dans l’imaginaire d’un artiste peintre tout droit sorti de La Bohème, dont l’atelier dispose d’une gigantesque baie vitrée donnant sur Notre-Dame de Paris. Regardant horrifié une chaîne d’information en continu rendant compte des agissements d’islamistes radicaux réduisant en poussière d’antiques vestiges au Moyen-Orient, il s’imagine en Comte de Nevers, sorte de trait-union entre catholiques et protestants, durant la tragique année 1572. Bien sûr, sa tentative de réconciliation entre les peuples échouera et lui coûtera la vie. Il ère ainsi sur la scène en spectateur privilégié des événements dans lesquels ses propres intrigues amoureuses se mêlent à celles de son personnage. Cette proposition artistique a l’avantage d’actualiser l’œuvre et d’interroger le spectateur sans la transposer véritablement (dans son imaginaire, les personnages sont en costumes d’époque). Elle a l’inconvénient de complexifier certains passages de l’intrigue. Sans doute est-ce là (ou bien les jeunes femmes dévêtues s’acoquinant avec des hommes d’église) ce qui dérouta les quelques personnes ayant hué l’équipe créatrice au moment des saluts.
La réussite de cette production, au-delà de la seule audace de programmation, vient de la qualité et de l’homogénéité de la distribution. Le ténor héroïque Uwe Stickert, livre une grande interprétation de Raoul de Nangis, huguenot au centre de l’intrigue amoureuse constituant l’un des fils rouges de l’opéra. Comptant également des rôles aussi exigeants qu’Othello (Verdi), Arnold (Guillaume Tell de Rossini) ou encore David (Les Maîtres Chanteurs de Wagner) à son répertoire, le chanteur fait forte impression dès son entrée, s’acquittant admirablement des sauts de tessiture. L’ambitus (écart entre la note la plus grave et la note la plus aiguë du rôle) est ici très large, mais Stickert semble à l’aise aussi bien dans les graves que dans les aigus. Il fait preuve d'une finesse d’interprétation appréciable, entre une puissance indiscutables et des passages pianissimo d’une grande délicatesse.
Uwe Stickert et Christina Pasaroiu dans Les Huguenots de Meyerbeer à l'Opéra de Nice © Dominique Jaussein
La notion d’ambitus étendu s’applique également au rôle de Valentine, interprétée par Christina Pasaroiu. La soprano fait preuve d’une grande maîtrise vocale : nuances, gestion du souffle, vibratos, tout dans son interprétation reflète sa subtilité. A l’aise dans les notes les plus basses de la partition, elle apporte une réelle densité dramatique par sa voix ambrée. Seule sa prononciation fait défaut, rendant les surtitres indispensables. Son timbre de voix se marie parfaitement à celui d’Uwe Stickert, donnant à entendre de sublimes duos.
La basse Jérôme Varnier offre un Marcel attachant et même touchant (lorsqu’il lance « Vois mon angoisse, pitié ! », par exemple), quoique parfois un brin caricatural dans son jeu. Il atteint avec une facilité déconcertante les tréfonds de sa tessiture dans un rôle extrêmement exigent. La Reine Marguerite de Valois est campée avec beaucoup de distinction par Silvia Dalla Benetta. Particulièrement virtuose, la soprano régale le public avec ses aigus virevoltants et ses médiums de caractère. Bien que sa prononciation soit perfectible, elle charme par son sens de la nuance et un jeu bien maîtrisé. Urbain, l’espiègle page interprété par Hélène Le Corre, apporte un vent de fraîcheur dans le sombre tableau dressé par Meyerbeer. S’acquittant avec facilité des trilles et vocalises de sa partition, la chanteuse semble parfaitement à l’aise dans les aigus. Globalement, sa prestation impressionne bien qu’elle soit manifestement moins à l’aise dans le registre grave et que sa puissance vocale, suffisante à l’avant-scène, la mette en difficulté lors de ses interventions en fond de scène.
Christina Pasaroiu dans Les Huguenots de Meyerbeer à l'Opéra de Nice © Dominique Jaussein
Marc Barrard, présent sur scène la quasi-totalité de l’opéra en peintre s’imaginant Comte de Nevers met à profit son talent de comédien. Sa voix de baryton au timbre chatoyant charme à chacune de ses interventions. Le Tavannes de Mark van Arsdale est brillant également, tant dans son jeu qui apporte du piquant aux tableaux imaginés par Kratzer, que par sa voix claire et puissante et sa diction soignée. Francis Dudziak, plus en dedans, interprète le rôle-clé du Comte de Saint-Bris, faisant preuve d’une belle autorité.
Le chef Yannis Pouspourikas dirige son orchestre d’une main de fer, tout en laissant aux solistes une certaine liberté permettant à ces derniers de colorer la partition à bon escient. Il tire finalement de son Orchestre Philharmonique de Nice une belle puissance couplée à des passages d’une grande subtilité. Le Chœur de l’Opéra de Nice, dont le jeu est individualisé, apporte beaucoup à la dynamique dramatique de la production. Sans les quelques problèmes rythmiques rencontrés par le chœur de femme dans l’acte II, leur performance eut été parfaite. Le public était d’ailleurs largement satisfait de la soirée passée. Représenter une œuvre telle que Les Huguenots, connaissant toutes les exigences qui s’y rapportent, avec le budget contraint d’un opéra municipal relevait de la gageure. Le défi aura été magistralement relevé.
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Marc Barrard chantera le rôle de Sharpless dans Madame Butterfly aux Chorégies d'Orange. Réserver ma place.
Mark van Arsdale chantera le rôle de Saladin dans Ali Baba à Rouen. Réserver ma place.
(cover : Les Huguenots de Meyerbeer à l'Opéra de Nice © Dominique Jaussein)