Marie-Nicole Lemieux, Stefano Montanari et les affetti de Vivaldi à Versailles
Le programme présente les multiples facettes du compositeur vénitien qui aborda différents genres musicaux avec succès. Sa renommée est tout d’abord liée à sa production de musique profane mêlant invention, virtuosité et « extravagances ». Ces qualités se retrouvent dans ses œuvres instrumentales et notamment dans ses concertos pour soliste qui deviendront l’archétype de cette forme. Les Concertos pour cordes en ré mineur et en Do Majeur rappellent ici encore l’extraordinaire virtuosité violonistique du maître. Celui-ci est également réputé pour ses nombreux opéras dont les arias demeurent liés aux affetti de l’âme des différents personnages. La virtuosité y côtoie la beauté mélodique, ce qui aurait fait dire à Tartini que Vivaldi ferait bien de se souvenir « qu’un gosier n’était pas un manche de violon. »
Le concert débute cependant par une autre dimension de son génie, dans le recueillement du Stabat Mater, œuvre aux tempi lents où la virtuosité occupe très peu de place. Si Vivaldi, surnommé Il Prete rosso (le prêtre roux), abandonne tôt le service de l’office, il continue toutefois à remplir ses fonctions de compositeur de musique sacrée à travers une abondante production de pièces religieuses.
Connue pour son fort tempérament, Marie-Nicole Lemieux aborde toutefois le Stabat Mater dans ce grand recueillement. Elle exprime avec douceur la douleur de la vierge au pied de la croix, mettant en relief certains mots par des colorations vocales particulières. Un effet d’écho sur « lacrimosa » (toute en larmes) souligne l’affliction de Marie. L’expressivité de toutes les notes du mélisme sur « gladius » (glaive) aggrave la profondeur de la blessure. La souffrance (dolentem) est conduite dans un grand crescendo, tel un pleur impossible à contenir et le supplice (supplicio) est poitriné fortement.
Marie-Nicole Lemieux côtoie la musique de Vivaldi depuis longtemps, et son premier grand rôle, Orlando Furioso, lui assura la notoriété. Les « extravagances » du compositeur trouvent en la contralto un médiateur superlatif. Elle convoque toutes les possibilités expressives de sa voix, et même au-delà, au détriment certes, de la netteté dans les vocalises et du beau son permanent mais en offrant une présence d'exception, généreuse et continuellement habitée. Son due venti (extrait de Orlando finto pazzo) joue avec ses registres, utilisant un son poitriné décomplexé et la musique se pare de soupirs dans l’air de séduction extrait de Farnace (Al vezzegiar d’un volto), ses mimiques irrésistibles faisant rire le public et le chef. Elle n’hésite pas à dramatiser son chant dans l’air de Pulcheria extrait d’Atenaide, les ports de voix devenant des plaintes sanglotantes et l’aigu projeté vibrant en un cri de détresse.
Dans l’extravagance, la contralto semble avoir trouvé son pareil et son maestro en la personne de Stefano Montanari qui dirige l’Orchestre de l’Opéra National de Lyon dans sa formation baroque sur instruments anciens, nommée alors I Bollenti Spiriti. S’inspirant mutuellement dans l’expression des affetti, leur complicité est grande. Sa direction peu conventionnelle (comme son style de chevalier noir) enflamme les phrasés du maître vénitien et il n’hésite pas à prendre son violon lorsqu’il souhaite davantage de communion avec les instrumentistes et la chanteuse. Assumant les parties solistes des concertos, il privilégie l’expressivité et les effets en s’appuyant sur une phalange attentive et experte.
Toute cette exubérance semble ravir le public qui, après de forts applaudissements, est gratifié avec deux bis : Une Chaconne instrumentale et l’air d’Orlando furioso « Nel profondo », cheval de bataille de la diva qui après une franche partie de rigolade musicale se jette dans les bras du chef dans un élan de reconnaissance non contenu.