Ludovic Tézier pour une master-class au sommet à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille
C’est au sein de l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, totalement comble de personnes de tous âges, que Ludovic Tézier conclut en public plusieurs jours d’enseignement destinés à six jeunes chanteurs de l’Académie de l’Opéra national de Paris, quatre entrés à l’école de formation en septembre 2019 et les deux autres un an auparavant. Chacun de ces jeunes artistes a déjà fréquenté la scène lyrique ces toutes dernières années : ils viennent donc à Paris pour se perfectionner et bénéficier des conseils et orientations de grands interprètes lyriques notamment.
Notre compte-rendu de leur récital de rentrée 2019
Ludovic Tézier, au sommet de sa carrière, se passionne pour la transmission. Avec cette très remarquée master-class, qui dure près de trois heures, soit presque le double du temps initialement prévu, Ludovic Tézier prouve qu’il excelle tout autant en ce domaine. Ce qui séduit chez lui et dans son enseignement (tant ses élèves que les spectateurs), c’est son absolue faculté d’écoute et cette vigilance de chaque instant. Avec calme et autorité, sans revenir obstinément sur son propre passé sinon de façon fugitive, il écoute une première fois l’air proposé en totalité avant de revenir sur chaque partie, chaque phrase, tant au niveau de la technique proprement dite que sur l’interprétation. Pour quatre des jeunes artistes présents, ses exigences portent déjà sur la qualité intrinsèque de la langue italienne, la place exacte de l’accent tonique, la hauteur du son. Il insiste beaucoup sur l’anticipation de l’aigu notamment qui ne doit pas sortir de nulle part mais bien s’inscrire dans la continuité de la ligne de chant, sur le non relâchement de cette ligne et du legato, sur la difficulté de débuter par exemple en français sur un O comme dans le récit précédant l’air de Valentin du Faust de Gounod (O Sainte Médaille) et les remèdes à appliquer. Avec obstination, il reprend l’élève -ici le baryton français Timothée Varon au timbre accrocheur- jusqu’à obtenir l’intonation la plus juste dont découle ensuite la totalité du morceau et sa réussite, ce tout en l’incitant à se détendre et à ne pas bloquer son corps : « Genoux bloqués, voix bloquée ! Tu fais du ski ? Non, alors master-class l’an prochain à Megève ».
Avec le baryton américain Alexander York, voix large et déjà assurée pour un physique de jeune premier, qui aborde l’air du Comte des Noces de Figaro Hai gia vinta la causa de façon trop unilatérale et uniformément grave, il décortique les méandres du personnage, sa colère, ses interrogations et son esprit de vengeance pour permettre au jeune artiste d’installer une vraie graduation des sentiments, d’éclaircir son chant dans l’esprit même de la musique de Mozart et de ses évolutions. Il fait travailler longuement à la soprano Kseniia Proshina, ravissante voix de soprano lyrique léger aux aigus et suraigus lumineux et faciles, le fameux Gualtier Maldè qui ouvre l’air de Gilda dans Rigoletto, afin d’installer le rêve et les promesses induites par ce premier amour. L’air de nouveau interprété dans cet esprit s’en trouve transformé et se pare d’un panel de sentiments bien plus palpable. Marie-Andrée Bouchard-Lesieur chante l’air des lettres du troisième acte dans Werther de Massenet d’une voix de mezzo-soprano riche de couleurs, déjà fort ample et de façon particulièrement investie. Les conseils ici portent non tant sur la technique que sur l’approfondissement de ce personnage de jeune femme torturée. « Écoute comment Massenet a écrit cette musique d’hiver, dans une sorte de brouillard opalescent, lui dit-il, laisse-toi guider par elle ».
Pour conclure, le duo Soave fanciulla de la fin de l’acte 1 de La Bohème de Puccini se trouve interprété par la soprano suisse Andrea Cueva Molnar et le ténor coréen Kiup Lee, voix au timbre très méditerranéen, chaleureux et d’une belle facilité d’émission. Auprès de ce dernier, que Ludovic Tézier n’hésite pas à pousser dans ses derniers retranchements pour mieux l’en extirper, ce avec bienveillance mais aussi une exigence totale, le travail commun porte justement sur la langue italienne et la beauté des sonorités. Il cherche, pour sa partenaire en Mimi, à l’aider à mieux canaliser le son et à faire ressortir la fragilité, voire même la coquetterie du personnage.
Auprès de tous ces jeunes chanteurs -auxquels il convient d’associer les quatre talentueux pianistes/chefs de chant en formation, Rémi Chaulet, Olga Dubynska, Edward Liddall, Christopher Vazan qui les accompagnent-, Ludovic Tézier insiste sur le sens profond des choses, l’authenticité interprétative, sur la discipline à laquelle il convient de s’astreindre, sur le respect de la partition et du compositeur. C’est ainsi que l’on parvient à captiver le public, à le bouleverser. « Beaucoup de travail pour renouer avec le naturel et la simplicité ».
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