Émouvante histoire vraie des Enfants du Levant par la Maîtrise de l’Opéra de Lyon
1850 : le premier Président de la République et futur second Empereur, Louis-Napoléon Bonaparte, veut combattre la misère en rééduquant les enfants abandonnés et/ou délinquants par le travail au grand air. Afin de réduire les dépenses publiques, il autorise des entrepreneurs privés à créer des Centres d’éducation et de patronage pour les détenus âgés de 5 à 21 ans. Nombreux sont ceux qui profitent alors de cette main d’œuvre, non pas seulement gratuite mais même en partie subventionnée par l’État. L’un des centres les plus inhumains se situe sur une île de la commune de Hyères, l’Île du Levant, propriété du Comte de Pourtalès. Son histoire n’a pas été complètement oubliée, grâce au roman Les Enfants du Levant de Claude Gritti et son adaptation en opéra par le librettiste Christian Eymery et la compositrice Isabelle Aboulker (commande du CRÉA créée en 2001 à Aulnay-sous-Bois).
Oullins ayant également été "doté" d’un Centre agricole pénitentiaire à la fin du XIXe siècle, l’interprétation des Enfants du Levant au Théâtre de La Renaissance ne fait qu’augmenter la puissance de cet opéra, dont les enfants sont les acteurs principaux. Les mélodies à une ou deux voix sont relativement simples, fruits d’un beau travail au service du texte, de son rythme et de son sens. Il n’en faut toutefois pas moins l’admirable Maîtrise de l’Opéra de Lyon pour toucher profondément le spectateur. Les qualités des soixante jeunes chanteurs, qui se partagent en moitié les sept représentations, sont nombreuses : une intonation irréprochable, dès le premier chant a cappella, une précision et un son d’ensemble très homogène et une diction particulièrement soignée qui rend tout très intelligible. Le public se souviendra particulièrement, entre autres belles pages, du poignant « Et pour être vivant, c’est combien ? Pour rester un enfant, c’est combien ? ». Sans oublier les talents de comédiens des maîtrisiens, nombreux ayant des interventions plus ou moins importantes, toujours très convaincantes et même vraiment touchantes : l'émotion est ainsi palpable lors de ce dialogue entre un frère et sa sœur, accompagné par un trio violon, alto et flûte à la couleur piano sublime, ou profondément révolté lorsque le garde Radel bat injustement un jeune détenu. Parmi les cinq adultes présents sur scène, deux interviennent aussi en tant que chanteurs, pour interpréter des contre-chants plus techniques, ou quelques airs, tel « Qu’ont-ils fait de toi, Ô mon Île d’Or ? » de la douce Augustine Brémond, interprétée par la mezzo-soprano Anne-Lise Polchlopek, au timbre chaleureux et maternel. Si l’amplitude de son vibrato déconcerte un peu au premier abord, par contraste avec la pureté des voix d’enfants, l’oreille réussit rapidement à comprendre son texte. S’il incarne surtout l’autoritaire et inflexible Comte de Pourtalès, c’est en Inspecteur général des prisons – personnage vraisemblablement sensible aux conditions des détenus mineurs, mais tout aussi coupable par inaction –, que le baryton Mathieu Gardon intervient avec sa voix noble, rassurante par la tendresse de son vibrato et l’amplitude aisée de sa projection.
Les treize musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon restent fidèles à leur excellente maîtrise instrumentale et musicale, faisant preuve d’une attention particulièrement soignée quant à l’équilibre et l’homogénéité de l’ensemble. Bien que la partition soit indéniablement bien écrite, l’effectif, aux abords hétérogènes, doit rester toujours attentif pour interpréter justement les couleurs et suggestions de l’œuvre. Il peut compter sur la direction souple, voire caressante, tout aussi ferme et assurée de Karine Locatelli. Elle est sans doute plus attentive aux enfants de la Maîtrise, dont elle a la responsabilité, mais fait pleinement le lien entre eux et les musiciens.
La mise en scène de Pauline Laidet reste sobre et sert ainsi l’œuvre et les interprètes : le décor de Quentin Lugnier place facilement l’histoire sur cette île méditerranéenne, avec ce dock plongeant sur l’orchestre, ce sol sableux et ce fond de mer bleue. Les lumières de Benoit Bregeault créent les différentes atmosphères et humeurs qui ont tourmenté ce lieu. Les jeux d’acteur et les placements, voire les chorégraphies, des chœurs sont au cœur du geste de la mise en scène, interpellant ainsi le spectateur sans qu’il ne se sente pris à partie pour autant. La scène finale ramène le public au présent, le décor perdant de sa sécheresse et gagnant l’image touristique que l’on a d’une île de la côte méditerranéenne. Pourtant, les enfants aux vêtements salis sur lesquels sont écrits en gros traits noirs leur matricule (costumes signés Aude Desigaux) et aux tristes allures sont toujours là pour chanter « En regardant les goélands, je pense aux enfants du Levant ».
Les Enfants du Levant est peut-être d’abord destiné à un jeune public (qui est venu nombreux), mais il touche, voire émeut, les spectateurs de tous âges et donne indéniablement à réfléchir. Si aujourd’hui l’Île du Levant est un domaine presque paradisiaque, où se côtoient naturistes et militaires, la Méditerranée reste encore témoin d’enfants qui tentent désespérément fuir leur misère et de rejoindre la côte, même s’il leur en coûte la vie.