Gardiner fait triompher Semele à la Philharmonie de Paris
Bien
que créé sans mise en scène ni décor au
Covent Garden Theatre à
Londres en 1744, et que l’indication « in
the manner of an oratorio »
figure sur la partition, tout dans Semele évoque l’opéra : ses
trois actes (alors que les oratorios sont plutôt
en deux parties), la continuité de la narration particulièrement
soignée,
le nombres de scènes et d’airs
amoureux, le sujet mythologique (destin funeste de Semele,
une mortelle aimée de Jupiter) traité avec beaucoup d’humanité.
En effet, face au désintérêt du public londonien pour l’opéra
italien, Haendel créa une nouvelle forme de dramaturgie musicale en
langue anglaise, un oratorio in
the manner of an opera.
La version concert (indiquée ainsi dans le programme) proposée ce soir joue sur cette ambiguïté et, l’ouverture passée, la position oratorio (orchestre placé au centre de la scène et chœurs alignés derrière) vole en éclat. Le chœur et les solistes n’auront de cesse de se déplacer pour interpréter ce drame musical. La sobriété de la scénographie n’en demeure pas moins efficace : l’ajout d’un sofa transporte l’action de Thèbes au royaume céleste et un changement de costume rend lisibles les doubles rôles de Ino/Junon et de Cadmus/Somnus, le tout soutenu par un jeu de lumière subtil.
La soprano Louise Alder incarne le rôle titre avec une grande sensibilité, une maîtrise technique remarquée et beaucoup de joie. Elle interprète les airs lents (« Oh sleep », « Thus let my thanks be pay’d ») avec expressivité, un phrasé sans cesse renouvelé et une riche palette de couleurs vocales. Ses vocalises, jamais mécaniques, sont également phrasées et interprétées. Elles peuvent être suggestives lorsque chevauchant Jupiter la soprano exprime son désir pour ce dernier (faisant rire le public) et terrifiantes de vélocité lorsqu’elle exige de son amant qu’il se montre sous son apparence divine (« No, no, i’ll take no less »).
Les rôles d'Ino et Junon permettent à Lucile Richardot (prochainement en récital dans la Grande Salle des Croisades à Versailles) d’évoluer sur plusieurs registres émotionnels et vocaux. Sa voix particulière, utilisant largement le registre de poitrine, exprime les tourments d’Ino de façon touchante et également l’autorité et la colère grotesque de Junon. Avec beaucoup d’humour elle abrège l’air d’Iris d’un « No more! » suivi de « Hence, hence away » dans une violence outrée. Son plaisir de jeu ne faiblit jamais pour le plus grand bonheur du public.
Le Jupiter du ténor Hugo Hymas paraît irrésistible de sensualité et de douceur. Sa voix demeure délicatement timbrée dans l’air « Where’er you walk », passant dans le registre mixte et de tête afin d’atténuer les arrivées dans l’aigu. Il vocalise précisément, sans brutalité et fait aussi entendre une voix plus ancrée lorsqu’il est horrifié par la demande de Semele.
Le contre-ténor Carlo Vistoli interprète le rôle d’Athamas avec beaucoup de délicatesse et un doux phrasé (« Your tuneful voice »), pouvant cependant manquer de puissance. Il s’investit d’avantage dans « Despair no more », allant chercher plus de brillance et de timbre dans les vocalises.
Gianluca Buratto prête sa voix de basse aux deux rôles de Cadmus et Somnus. Le timbre est riche, les graves profonds et timbrés. Il module son émission vocale selon le personnage qu’il incarne et si sa voix est projetée pour Cadmus, elle devient suave (proche du décrochage) pour Somnus encore endormi. La soprano Emily Owen incarne Iris, souffre-douleur de Junon d’une voix légère et cependant sonore. Sa présence est remarquée par son jeu théâtral engagé.
Quatre chanteurs sortent des rangs du chœur pour des airs soli. Bel exemple de la solide formation que reçoivent les jeunes chanteurs par le biais du Monteverdi Apprentices Programme et du niveau du Monteverdi Choir dans lequel les choristes peuvent également être amenés à s’exprimer en solo. Sous la direction précise de Sir John Eliot Gardiner, le son des English Baroque Soloists est somptueux de rondeur et de netteté. Attentif à tous, il communique son engagement musical absolu.
Si l’accueil fut désastreux à sa création à Londres, Paris rend hommage à Semele, oratorio/opéra « in the manner of Gardiner ».