Stupeur, fureur, ardeur : Phèdre de Lemoyne triomphe à la Cité Musicale de Metz
De la tragédie éponyme de Racine, Jean-Baptiste Lemoyne n’a retenu que quatre personnages : Phèdre, Hippolyte, Thésée et Oenone. Le livret de François-Benoît Hoffmann opère des coupes franches, resserrant l’intrigue sur les errances de Phèdre et ceux qu’elle entraîne dans sa chute. Benoît Dratwicki, Directeur artistique du Centre de musique baroque de Versailles, resserre lui aussi le plateau musical à dix instrumentistes du Concert de la Loge, dirigés du violon par Julien Chauvin. Les musiciens, installés dans la mise en scène de Marc Paquien dans des fosses carrées sur un socle sombre, prennent part à l’intrigue en accompagnant les personnages qui serpentent entre eux ou devant et derrière le socle.
Habillé
d’or, de voiles ou l’épaule recouverte d’une peau de bête
pour Thésée, le plateau vocal propose une justesse lyrique,
également soutenue par l’attention constante portée à la
caractérisation. Hippolyte touche par l’ardeur première de sa
jeunesse, Oenone est une convaincante confidente avant le rejet de
Phèdre, Thésée est le guerrier fier, l’homme blessé, le père
touché et finalement douloureux. Phèdre, enfin, est bel et bien
fascinante, destructrice et détruite, maudite et touchante.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue
Le rôle-titre revient à la soprano Judith van Wanroij, Phèdre éclatante dans ses emportements amoureux, femme blessée et horrifiée face à ce qu’elle ne peut réprimer. La diction précise offre à son personnage des strates de couleurs variées. Sa rage décuplée, sa douleur gémie en un souffle, recroquevillée sur le sol, ses élans amoureux vers Hippolyte déploient un prisme d’aigus qui tour à tour fendent l’air, deviennent un filin flûté ou se parent d’une chaleur sans répondant chez Hippolyte. Lorsqu’elle attend sa venue, sa fébrilité sublime l’essence de la phrase « c’est dans le crime que je vais chercher le bonheur ».
Diana Axentii rivalise en qualité de timbre par une Oenone aux aigus chaleureux, glorieux lorsqu’elle invoque les dieux et croit avoir trouvé le remède aux tourments de Phèdre. Elle construit aussi savamment son personnage inquisiteur de ces tourments, opère des descentes agiles vers des graves remarquables de justesse et de tenue.
Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur
Le ténor Camille Tresmontant façonne d’abord un Hippolyte auréolé de sa jeunesse, souple guerrier chasseur qui en arrivant sur la scène tournoie avec son couteau. Il fait mine de se le planter dans le cœur, annonçant la tragédie à venir. Son timbre premier, clair, chaleureux et insouciant contraste avec l’angoisse qui sourd à l’arrivée d’Oenone dans un coin de la scène. Tout le dédain possible est jeté au visage de Phèdre dans une articulation précise, la chaleur du fils passe dans les aigus bien portés, avant l’accusation et la chute pour lesquelles il conserve diction et projection.
Le baryton Thomas Dolié donne corps à Thésée en des graves d’abord profonds, martelés et impérieux, pleins d’une puissance guerrière et régalienne. Les aigus doux de la tendresse paternelle première, ou chaleureux sur « mais être aimé, voilà le vrai bonheur » cèdent vite la place à une colère sourde, grave, puis explosant de fureur que l’acoustique réverbère.
Aussi déployées par l’acoustique, les couleurs du Concert de la Loge par la direction enthousiaste de son chef oscillent entre légèreté et gravité, homogénéité et mise en relief de chaque instrument. L’onctuosité, la souplesse de la mèche s’enfonçant généreusement, précèdent des archets qui frôlent les cordes. Les vents, cuivres comme bois, sont riches et concordent à exprimer le ressenti des personnages et leurs arrivées et départs de la scène.
Le déluge d’applaudissements final de la Grande Salle de l’Arsenal est lui aussi en adéquation avec la richesse du plateau.