Anne Sofie von Otter en récital à La Monnaie, fustigeante légèreté
L’audace prime : entre morceaux classiques et pop, un triumvirat brille d’une folie légère, décomplexée et surtout rafraîchissante. Le programme (très riche, du classique au moderne avec un accent vers le post-romantique) va de Shakespeare à Korngold, Haydn à Michael Tippett, mais aussi Radiohead et Rufus Wainwright. L'occasion de (se) jouer des codes du récital avec un éclectisme redoutable et une folie douce.
Loin de l’image des cantatrices classiques en robes longues, Anne Sofie von Otter s’affirme sur scène avec un look fleuri, décontracté et ultra-casual qui théâtralise son arrivée et ses déclamations des textes de Shakespeare. Classicisme et romantisme mêlés (notamment Orphée et son luth de Ralph Vaughan Williams) rassurent, apaisent, la voix brille vers des aigus légèrement soufflés, dont les fins même puissantes se révèlent très rondes et ornementées. Le détachement demeure pourtant total, y compris à travers les cris et onomatopées de basse-cour ou la comptine ludique, sidérante de drôlerie presque régressive (Songs for Ariel de Michael Tippett, 1905-1998). La mezzo secoue son public, chamboule les plus classiques et décape l’image romantique du récital.
Entre chant et concertinos des deux musiciens, le récital se réorganise vers un tempo plus suave et mesuré, retour aux sources bientôt chamboulées encore. De l’a cappella folk d'un anonyme Willow Song (Chanson du saule) menant vers le silence et des chants pop, Broadway même, la mezzo passe en revue et mène un show.
L'exercice habituellement en duo est ici un trio et même un triumvirat : la parole est aussi donnée à Pekka Kuusisto et Bengt Forsberg. Chacun y trouve son compte, entre le jeune violoniste innovant plutôt contemporain et le pianiste très classique, la chanteuse sert de pont, intermédiaire parfois même en retrait, spectatrice. Car s’il ne s’agit pas que de chanter, mais d’illustrer et de vivre ses textes, corps prosodique, emporté, Anne Sofie von Otter dessine avec la sagesse d’une auguste conteuse les strates de chaque aria.