Triomphale reprise de Don Pasquale au Palais Garnier
Damiano Michieletto est un metteur en scène qui se renouvelle constamment : il y a peu de points communs entre sa production onirique de La Donna del lago (Pesaro, puis Liège en 2018 : voir notre compte-rendu), celle, réaliste de son Barbier de Séville, et celle très stylisée, de son Don Pasquale. Au lever du rideau, le plateau est plongé dans un noir profond, duquel se détachent le toit d’une maison figuré par des néons, quelques portes, et un mobilier tout droit sorti des années 1960. Au second acte, pour marquer la révolution opérée par Norina, le plateau est cette fois tout blanc, et une déco entièrement design a remplacé les meubles au charme suranné. À ces éléments de décor très simples s’ajoute ponctuellement l’utilisation de vidéos : les chanteurs sont filmés en direct et leurs silhouette ou visage sont projetés sur un écran géant (un procédé décidément en vogue à l’opéra en ce moment).
La direction d’acteurs est très soignée, la lecture de l’œuvre très cohérente. Don Pasquale, s’il reste un personnage comique, présente des aspects touchants : dévoré par le désir d’avoir un enfant, il voit apparaître au début de l’œuvre (lorsqu’il déclare voir grandir autour de lui une demi-douzaine de bambins) un petit garçon ravi de retrouver son père en rentrant de l’école. Au-delà du plaisir (bien réel) d’épouser une jeune femme, il y a donc aussi chez le Don Pasquale de Michieletto le simple désir de fonder enfin une famille, ce que les hasards de la vie semblent lui avoir jusqu’ici refusé. Au dernier acte, son chant È finita, Don Pasquale est très émouvant. Après la gifle que lui donne Norina, il voit apparaître devant lui son double enfant, en pleurs : tout se passe comme si la gifle de Norina lui en rappelait une autre, injustement reçue lorsqu’il était petit garçon. La jeune femme qui vient alors consoler l’enfant pourrait ainsi être sa propre mère. À moins qu’elle ne soit l’image fabulée de l’épouse dont il rêvait, consolant l’enfant qu’il n’aura finalement pas. Dans ces conditions, le finale, au cours duquel il est dit au héros éponyme qu’il est stupide de croire en l’amour et de vouloir se marier si âgé, et le fait de le mettre de force sur un fauteuil roulant pour l’envoyer en hospice est particulièrement cruel. Le spectacle reste drôle cependant et le public manifeste sa bonne humeur à plus d’une reprise au fil de la représentation.
Le chef Michele Mariotti est chaleureusement applaudi dès son retour en fosse au début du second acte : sa direction est particulièrement fine et équilibrée. Refusant tout excès, rythmiques ou sonores, elle fait naître le drame (et la pulsation de l’œuvre) des rencontres, des contrastes, des fusions entre les couleurs et les lignes dessinées par les voix et les instruments de l’orchestre. Celui-ci, sous cette direction précise et attentive, fait montre d’une indéniable virtuosité et déploie des couleurs tantôt vives et chatoyantes (la fin de l’ouverture, le finale du II), tantôt douces et délicates, notamment pour la scène nocturne de la sérénade d’Ernesto et son duo avec Norina (acte III). Les chœurs de l’Opéra font preuve de précision, de dynamisme et d’enthousiasme dans leur intervention du troisième acte, et sont très drôles grimés en ouvriers chargés de redécorer intégralement la maison de Don Pasquale.
Excepté le notaire (incarné avec beaucoup humour par Frédéric Guieu) qui n’a que quelques syllabes à prononcer, il n’y a guère de personnage secondaire dans l’opéra de Donizetti. Christian Senn est un Malatesta au timbre très clair et à la technique accomplie, lui permettant d’exécuter avec aisance les quelques passages ornés de son rôle. Il interprète par ailleurs un Malatesta fourbe à souhait, mais aussi très séduisant : Norina elle-même n’y résiste pas, dans une scène où, se laissant caresser par Malatesta, l’on en vient à douter de la sincérité de ses sentiments pour Ernesto (l’hypothèse sera confortée par la scène finale où Norina s’enferme seule dans la maison de Pasquale, laissant les hommes dehors) !
Javier Camarena et Pretty Yende triomphent en Ernesto et Norina. Le premier fait valoir un timbre solaire, un legato porté par un souffle très maîtrisé, des piani et diminuendi impressionnants de douceur, et un aigu très facile (tel celui par lequel il couronne sa cabalette). Pretty Yende trouve ici, bien plus qu’en Teresa (Benvenuto Cellini à Bastille il y a juste un an) un rôle où faire valoir ses talents comiques et sa technique belcantiste. De fait, elle déploie un chant maîtrisé dans ses dimensions : la technique est huilée (précision des vocalises et des aigus), la projection suffisante (bien qu’un peu légère au premier acte, où la voix est parfois couverte, notamment dans le finale, un petit défaut qui disparaîtra au second acte), les couleurs variées. S'y ajoutent sa constante élégance en scène (surtout dans sa magnifique robe rouge du deuxième acte) et ses talents d’actrice (elle joue à merveille la fausse ingénue comme l’insupportable virago), justifiant le très grand succès qu’elle remporte au rideau final.
Enfin, Michele Pertusi propose comme l’an dernier un portrait à la fois drôle et touchant de Don Pasquale, porté par une voix sombre, homogène sur toute la tessiture (même si l’extrême grave sur le mot podestà – duo avec Malatesta – est atteint de justesse), et maîtrisant parfaitement l’étourdissant chant syllabique de Vedrai se giovino (acte II).
Un quatuor de choc – et même un quintette avec le chef – chaleureusement applaudi par des spectateurs plus qu’enthousiastes.