Julie Fuchs et Alphonse Cemin : une petite cantate anniversaire à Bordeaux
Fondu noir. Le chandelier s’éteint. Le cheval ailé disparaît du plafond peint. Un bruit de talons sur le plateau, des applaudissements. Puis … rien. Dans l'attente qui semble longue, chacun s'interroge et interroge son voisin. Enfin, du fond du silence et du noir, parvient une toute petite voix : « Une petite cantate du bout des doigts / Obsédante et maladroite monte vers toi ». Alors un cercle de lumière révèle doucement une demoiselle assise à côté du piano. La petite voix prend force, le pianiste touche un accord délicat, puis un autre. Et la soprano Julie Fuchs reste assise à côté du pianiste, Alphonse Cemin, pour un hommage à Barbara, en prélude à une grande soirée. Le fil conducteur du programme semble être la frontière entre la chanson intime et le jazz (qui se laisse deviner, même dans les mélodies de Claude Debussy).
La voix de Julie Fuchs fait entendre tous ses détails, mais elle semble relativement petite pour la salle de l’Opéra de Bordeaux : le son ne vient pas assaillir les oreilles ce qui invite toutefois à une écoute attentive. Musicalement, le dialogue entre Julie Fuchs et Alphonse Cemin s'appuie sur un travail personnel et approfondi, le toucher du pianiste est fondant, délicat, liquide, féerique. Les mélodies de Debussy deviennent soudaines, inédites et fraîches. La Romance d’Ariel, permet à la soprano de dévoiler sa grande maîtrise des aigus légers et rapides. Poulenc lui permet d'insinuer des nuances sensuelles.
Si le travail interprétatif de Julie Fuchs et Alphonse Cemin renouvelle les mélodies connues de Debussy et Poulenc, la deuxième partie du concert parvient réciproquement à rendre familière la musique expérimentale de Björk et de George Crumb. The Sun in My Mouth, adapté d’un poème (I will wade out) d’E.E. Cummings, fut chanté à l’origine par l’artiste islandaise dans un style pop quasi chuchoté, et accompagné d’un orchestre de cordes, harpe et "soft electronica". Transformée ici par Fuchs et Cemin en une mélodie classique, la chanson est accompagnée d’un motif obsessionnel du piano, à la lisière du jazz.
Apparition (mélodies et vocalises élégiaques pour soprano et piano amplifié de 1979) de George Crumb en revanche, transforme le piano en une sorte de harpe-cithare-tambour-clavier, exploitant au maximum les différents sons imaginables par les deux artistes : pizzicati, grondements des cordes graves, frappe sur le bois, et surtout beaucoup de glissandi à l’intérieur du piano. La ligne vocale demande des arabesques aux intervalles très rapprochés, chuchotements, consonnes répétées en mitraillette, trilles des lèvres, jappements tout en haut de la voix. Julie Fuchs et Alphonse Cemin accomplissent ces curiosités sonores avec naturel et joie.
Le programme se clôt par deux chansons de comédies musicales de Cole Porter. Julie Fuchs chante « Sing to me, Guitar » (Mexican Hayride) et « Use your imagination » (Out of this World), à la façon de leurs premières interprètes, dans le style classique. S'il manque un peu d'ampleur à ces chansons, elle se saisit de la scène avec beaucoup d’aplomb et il ne manquerait plus que la poursuite lumineuse pour transformer le théâtre bordelais en plateau de Broadway des années 40.
Pour les bis : « Every time we say goodbye, I die a little » de Cole Porter, « Giunse alfin il momento… deh vieni, non tardar », (air de Susanna dans Les Noces de Figaro pour fêter l’anniversaire de Mozart en ce 27 janvier), « My favorite things » de La Mélodie du bonheur, et « Nuit d’étoiles », (œuvre de jeunesse de Debussy) concluent la soirée.
Vous pouvez réserver vos places pour le Récital Julie Fuchs le 3 Juillet 2019 au Château de Versailles avec l’Orchestre national d'Île-de-France ou bien avec Alphonse Cemin au Festival d'Aix-en-Provence.