Le Sublime des œuvres des Bach
Nombre de mélomanes admirent Jean-Sébastien Bach (1685-1750) et connaissent son appartenance à une importante famille de musiciens. Toutefois, sa géniale œuvre fait aujourd’hui ombre aux travaux remarquables de ces prédécesseurs, dont le riche héritage a fait de lui le musicien tant admirable. Haut lieu de la musique de Bach en France, le Festival Bach en Combrailles invite ce soir Lionel Meunier et son ensemble Vox Luminis qui proposent « La dynastie Bach, 150 ans de motets », en l’impressionnante collégiale Notre-Dame d’Herment, monument du XIIe siècle. Ce magnifique programme présente une sélection de motets (composition vocale avec basse continue inspirée d’une citation biblique, richement ornée et avec des jeux d’imitations) de membres du clan Bach. Ces œuvres étaient précieusement préservées par chaque chef de la famille en une collection, la Altbachisches Archiv, à laquelle chaque membre apportait correction et contribution. Considérés comme perdus lors des bombardements de Berlin en 1945, les documents sont finalement retrouvés aux Archives nationales d’Ukraine en 1999.
Après une simple et sympathique présentation du programme par Lionel Meunier, qui demande d’avance à être excusé d’une extinction de voix naissante, l’organiste Bart Jacobs débute par une introduction instrumentale, assez méditative. Toutes les pièces de la première partie seront ainsi introduites par le positif, avec une finesse et une simplicité qui créent des transitions d’une parfaite fluidité. Le premier motet interprété est le court « Sein un wieder zu frieden meine Seele » (Sois maintenant contente, mon âme) de Johann Bach (1604-1673), un grand-oncle de Jean-Sébastien. Au principal chœur, sur scène, répond un second en coulisses, créant un effet de spatialisation tout à fait saisissant. Le temps de la transition instrumentale permet aux chanteurs de se replacer et d’enchaîner avec « Unser Leben ist ein Schatten auf Erden » (Notre vie n’est qu’une ombre sur la terre). Par la direction extrêmement discrète de Lionel Meunier, qui se contente de respirations et de quelques regards, l’excellente préparation, la connaissance des œuvres et l’attention des chanteurs les uns aux autres sont manifestes. Le public peut apprécier le soin tout particulier porté à la prononciation du texte, dont l’auditeur saisit tout le sens, même s'il ne comprend pas l’allemand.
Après ces deux motets assez sombres, caractéristique de l’œuvre de Johann Bach qui souffrit de la guerre de 30 ans (1618-1648), on découvre un motet plus réjouissant : « Sei lieber Tag wilkommen » (Sois le bienvenu, cher jour) de Johann Michael Bach (1648-1694), grand-cousin et premier beau-père de Jean-Sébastien. Le naturel de la direction des phrasés et la simplicité des timbres des chanteurs expriment une sincérité qui ne manque pas de toucher le public. Dans « Halt was du hast » (Garde ce qui t’est acquis), l’effet de spatialisation est d’autant plus fort que les deux chœurs chantent en antiphoné (chant alterné) le dernier couplet. Les arabesques des mélodies et l’authenticité de l’expressivité, toujours pleine de sens, emmènent aisément l’auditeur dans la pure beauté de l’harmonie de « Herr, ich warte auf dein Heil » (Seigneur, j’attends ton salut). Les couleurs célestes sont présentes jusqu’à la toute dernière note, à l’homogénéité parfaite.
Der Menschvom Weibegeboren (« L’homme né de la femme ») et Lieber Herr Gott, wecke uns auf (« Seigneur Dieu, réveille-nous ») de Johann Christoph Bach (1642-1703), frère de Johann Michael qui participa activement à l’éducation de Jean-Sébastien, sont une nouvelle fois des musiques sublimes et superbement interprétées. Dans le second, la timidité des entrées tuilées des voix seules est justifiée par le texte. Das Blut Jesu Christi (« Le sang de Jésus-Christ ») de Johann Ludwig Bach (1677-1731), cousin éloigné de Bach, fait entendre de réjouissants et clairs ornements, contrastés avec des moments plus introspectifs, deux chœurs s’y répondant de part et d’autre de la scène.
La deuxième partie de la soirée présente le motet Das ist mein Freude (Ceci est ma joie) de Johann Ludwig Bach, dans lequel Vox Luminis semble préserver son effervescence pour le feu d’artifice vocal qui suit : Jesu, meine Freude BWV 227 (Jésus ma joie) de Jean-Sébastien. Celui-ci y applique tout ce que son héritage lui a apporté et y ajoute son propre génie. Les onze mouvements du motet font entendre précision du texte, silences qui relancent le discours dans d’incroyables exercices contrapuntiques. La musique est parfois très imagée, par exemple lors du « Ob es itzt gleich kracht und blitzt » (« Qu’il se mette maintenant à tonner et à faire des éclairs ») ou encore le « Trotz Dem Alten Drachen » (Malgré le vieux dragon). On retiendra également l’effet magnifique du choral « Gute nacht, o Wesen » (Bonne nuit à toi) chanté en filigrane par les voix aiguës tandis que le trio repousse avec verve les péchés, l’orgueil et la luxure. On salue particulièrement l’unisson parfait des deux sopranes à la fin de ce même trio. Sous les chaleureux applaudissements du public, les dix chanteurs de l’ensemble offrent en bis un « motet choral » où, sur le motet chanté par le chœur sur scène, les sopranos, dont les voix célestes venant de nulle part, placées derrière le public, chantent à propos « Ach Herr, lass dein lieb Engelein » (Oh Seigneur, laisse ton cher ange).
Après la découverte de la musique des Bach entendue ce soir grâce à Vox Luminis, un mot seul résume l’expérience des spectateurs : Sublime.