Vox Luminis, œcuméniques Messes brèves de Bach à Saintes
Fil rouge du Festival de Saintes et notamment en ces deux derniers jours de l'édition 2018, les œuvres programmées ne sont pas faites pour une abbaye catholique, mais elles y trouvent leur place et leur son. Au lendemain d'une tragédie lyrique (faite pour la Cour et non pas l'Église) et des cantates du jeune Haendel (pour des salons italiens) et quelques heures avant Wagner-Bruckner, ce sont les Messes brèves de Jean-Sébastien Bach qui résonnent grâce à l'Ensemble Vox Luminis. Si la "Messe" est certes évidemment pensée pour une institution -et une acoustique- religieuse, il n'en demeure pas moins que Bach est un compositeur protestant, qui n'aurait jamais rêvé en son temps d'être joué dans un haut-lieu catholique (son temps était encore celui de terribles guerres de religions). Cependant, dans ce contexte, les Messes brèves font partie de la poignée d'œuvres qui n'auraient pu être mieux puisées parmi le catalogue de Bach. Elles appartiennent en effet à ses quelques compositions en latin : hormis ces 4 Messes brèves, 2 Sanctus, ainsi que le Magnificat et la Messe en si, Bach composait en allemand, puisque le pilier de la Réforme (et le geste sacrilège pour le Vatican, jusqu'au Concile Vatican II en 1962-65) consistait à traduire la parole divine dans chaque langue du peuple. Mais le luthéranisme autorisait le latin pour les grandes cérémonies (et les œuvres, grandes bien que brèves : insigne honneur, ces Messes pourtant latines ont été surnommées Messes luthériennes !).
Vox Luminis interprète la Messe en si mineur à Utrecht en 2017 :
Parmi les quatre du catalogue de Jean-Sébastien Bach (regroupées sous les numéros d'opus BWV 233–236 et composées entre 1738/39), Vox Luminis choisit deux (la troisième puis la deuxième) Messes brèves, aussi nommées Messes Kyrie–Gloria car elles reprennent ces deux sections de l'ordinaire du rite. Mais deux temps forment six mouvements (le Gloria contient également Domine Deus, Qui tollis, Quoniam et Cum sancto Spiritu).
Sur un même texte latin, les Messes sont fondées sur la même construction (et de nombreux auto-emprunts aux cantates en allemand comme nouvel argument œcuménique). Les chœurs introductifs et conclusifs sont à quatre voix (comme les solistes qui s'en extraient) et sont une douzaine (comme les cordes, soutenant deux flûtes et soutenues par un petit orgue). Brèves mais intenses et variées, chacune des Messes enchaîne également des caractères duels, ceux du message divin : la force fougueuse fuguée, la paix contemplative de Voix Lumineuses (Vox Luminis, en effet).
Le nom même de ténor vient de "teneur", celui qui tient la mélodie, pierre de voûte de l'harmonie ancienne. Pierre Derhet offre sur ce point et dans les deux messes une interprétation très pertinente, sachant accentuer son soutien barytonnant pour justement s'harmoniser avec la voix de basse, d'abord tenue par un baryton : Jon Stainsby dans la première messe, qui soulève bien ses aigus pour s'harmoniser ensuite avec les dessus (notamment la soprano hongroise Zsuzsi Tóth, collaboratrice habituelle de célèbres ensembles baroques et déployant un filin d'aigus en résonance avec la pointe des ogives). C'est ensuite le chef Lionel Meunier qui s'en saisit en personne. Juste dans la ligne et noble dans son maintien, la rondeur du placement se perd hélas dans l'acoustique abbatiale.
C'est un homme qui tient la partie d'alto et il est désigné comme tel (ni contre-ténor, ni haute-contre, ni altiste qui sont les termes usuels pour un homme chantant une tessiture féminine). L'idée est donc de souligner le naturel manifesté par Alexander Chance dans ce registre. Il y est certes à l'aise, le chant est enjôleur notamment lorsqu'il s'intercale dans les ostinati (rythmes réitérés) des flûtes et des oiseaux nichés dans ces lieux (leurs cui-cui forment le contrepoint habituel des concerts de Saintes). Il ne pose cependant pas ce qui seraient des graves pour une femme et ses montées serrent la justesse.
Le tutti instrumental refermant chaque Messe garde quelque temps la luminosité mise au service de la puissance, mais le mouvement de fugue s'installant et le chœur se joignant, l'ensemble devient brouillon. Rendez-vous au point d'orgue et au Amen comme disent les musiciens dans le métier. Rendez-vous aux applaudissements spontanés et fournis.