Sur les Chemins de Saint-Jacques de Compostelle à Montpellier avec le Chœur de Radio France
À l’occasion du 20e anniversaire de l’inscription des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle de France au patrimoine mondial de l’UNESCO, le Festival de Radio France Occitanie Montpellier propose le même jour six concerts dans six lieux de la région occitane (Saint-Gilles, Cahors, Montpellier, Conques, Villeneuve d’Aveyron et Arles-sur-Tech). Au milieu du marbre et des vitraux de la cathédrale Saint-Pierre en la capitale héraultaise, l’auditeur est convié à un pèlerinage musical du XIIe siècle (le Dum Pater Familias extrait du Codex Calixtinus) au XXIe siècle avec la création de Peregrinatio, ouvrage du compositeur slovène Damijan Močnik en passant par des pages renaissantes (Haec est dies et Virginis prudent de Jacobus Gallus), romantiques (l’Ave Maria de Clara Schumann) et contemporaines (Ubi caritas et Tu es Petrus de Maurice Duruflé, Viderunt omnes de Philippe Hersant ou l’Exsultate, jubilate de Karl Jenkins). Ce programme liturgique et entièrement a cappella, construit sans attention chronologique (la Renaissance côtoyant l’époque moderne, alors que la pièce romantique est offerte vers la fin du spectacle) trouve malgré tout une unité autour de deux pôles : la modalité et la tonalité.
Du fond de la cathédrale résonne les premiers applaudissements. Le Chœur de Radio France s’avance lentement, vêtu de noir, puis s’installe sous l’orgue (les basses profondes et les suraigus des sopranos en seront un subtil clin d’œil) en une impressionnante phalange. Sur les premières arabesques de la Directrice artistique Martina Batič, l’effectif fait entendre le Dum Pater Familias du Codex Calixtinus puis la création de Damijan Močnik. De légers décalages dans l’attaque n’entachent point une justesse saisissante et une amplitude perceptible dans ces decrescendi où les notes descendantes s’inscrivent dans la résonance de celles qui les précèdent. Les motifs partagés entre les pupitres sont d’une heureuse acuité rythmique malgré le chant a cappella. Séparés en double chœur pour les deux pièces renaissantes de Jacobus Gallus, les deux pupitres se répondent au diapason avec des motifs bien rythmés aux "Alléluia" lancés avec entrain, et, chez les femmes, une superbe homogénéité, les lignes précises, d'une voix aux aigus scintillants.
L’ampleur de l’effectif désert toutefois la clarté des lignes, dont les enchevêtrements parfois complexes, mêlés à l’acoustique de la cathédrale, forment un ensemble parfois légèrement brouillé. L'intelligibilité du texte en est également affectée : considéré ensemble, le chœur est souvent difficilement compréhensible (excepté dans les passages où une voix porte le tout), alors que les parties convoquant un effectif réduit montre au contraire une prose limpide. Rayonnant dans les passages requérant un son large et où résonne la gloire et la majesté, l'effectif se défend malgré tout dans les extraits où est suggérée l’intimité méditative et religieuse. Si l’entrain des vifs et pointilleux staccati du puissant Exsultate, jubilate de Karl Jenkins alternant avec de longues et larges lignes legato sont du plus bel effet, et si le Cantate domino de Josu Elberin montre des thèmes soulignés et allant et de véritables nappes vocales formant des accords riches en harmoniques, le Totus tuum de Henryk Gorecki est un moment de grâce avec des accords ciselés, tout en rondeur, et dont les répétitions finales sur le mot "Maria" s'offrent en un long decrescendo qui s'achève pianissimo avant un long silence. La direction de Martina Batič est d'une attention méthodique. Attentive et précieuse, elle accompagne les chanteurs au sein de chaque pupitre avec un remarquable souci d'équilibre du son tout en distillant l'esprit et la chair des différents ouvrages, offrant ainsi une fresque musicale nuancée, fine et, malgré les différentes ères convoquées, cohérente.