Une Création portée par les voix à Verbier
Ouvrage de la dernière maturité de Haydn, La Création retrace les six jours où Dieu façonna le monde à partir du récit biblique et du Paradis perdu de Milton, dans un livret en anglais destiné à Haendel, et traduit en allemand par le baron van Swieten. La puissance de l'inspiration comme la fluidité de la narration ont façonné le succès de la partition dès sa création à Vienne en 1798. Au-delà des questions d'authenticité, Gábor Takács-Nagy et le Verbier Festival Chamber Orchestra s'attachent à la vitalité et aux couleurs d'une musique mêlant séduction mélodique et construction dramatique – l'éclairage des pupitres ne manque pas d'éloquence. Dès le prélude orchestral, la maîtrise des textures se révèlent évidente, sous une baguette qui ne se départira jamais d'une jubilation communicative, jusque dans les sections fuguées parfois serrées, mais toujours lisibles, denses souvent, aérées généralement.
C'est d'ailleurs cette clarté de la lecture, qui ne renonce pas à la chaleur et à la sensualité, qui innerve l'ensemble du plateau, sans parler des choeurs rayonnants du RIAS Kammerchor, sculpturaux dans les grands finaux et d'une irrésistible précision dans l'enlacement des lignes. Les trois solistes des deux premières parties assument les interventions des trois anges, commentant le façonnement de l'univers. Les mots auguraux incombent au Raphaël d'Andreas Bauer. Si les graves de la basse sont bien définis, l'émission très focalisée n'évite pas toujours quelques accents un rien nasaux. Il reste un métier solide, qui s'exprime en particulier dans les prolixes descriptions de la faune, qui distille une sapidité évidente, au-delà de la patente intégrité du matériau.
Remplaçant Pavel Breslik, initialement prévu, Bernard Richter fait valoir un Uriel soigné, à la diction sans reproche – comme ses partenaires au demeurant. Le charme du timbre s'avère vraisemblablement différent, mais le ténor suisse ne se contente pas d'une attention scrupuleuse au texte. On appréciera la santé de l'instrument, la luminosité de la voix qui sait garder une juste distance avec l'affect. Nulle froideur cependant dans cette réserve qui n'altère point l'éclat intelligemment calibré du haut de la tessiture, sans en négliger le corps.
Les oreilles assoiffées de chatoiements privilégieront le Gabriel de Miah Persson. Il est difficile de résister au fruité de la soprano. Le délié de son chant irradie une sensibilité qui n'oublie pas le caractère angélique de son personnage, et métamorphosera son innocence dans la troisième partie, où elle troquera les ailes séraphiques pour la féminité d'Eve. La chair vocale frise juste ce qu'il faut, pour ne pas abîmer le fini délicat du vibrato, lequel se charge de tendresse dans le duo avec l'Adam de son compatriote Peter Mattei, dont on reconnaît l'idiomatique pâte, et le grain riche en harmoniques savoureux. Le legato semble ignorer les assauts de la maturité, et modèle une aisance généreuse que le public ne peut que plébisciter, comme l'ensemble des acteurs d'un concert de haute tenue vocale, sinon musicale tout court.