Toute la Russie sous le ciel étoilé d’Orange
Souhaitons que cette « Nuit russe » constitue le prélude de la présentation aux Chorégies d'Orange d’un ouvrage lyrique russe ces prochaines années : ce répertoire pourtant central ne fut pas si souvent présent sur la scène du Théâtre Antique ces dernières décennies ! Le projet, il y a trois ou quatre ans, d’un Boris Godounov monté par Raymond Duffaut en coproduction avec le Festival finlandais de Savonlinna ne s’est malheureusement pas concrétisé. Dans l’attente, le programme proposé ici met à l’honneur les opéras de Tchaïkovski (d’Eugène Onéguine à Iolanta, le dernier opus lyrique du compositeur).
Infatigable serviteur de la musique de son pays, Directeur musical du Théâtre Mikhaïlovski de Saint-Pétersbourg, Mikhaïl Tatarnikov porte de toute sa ferveur un Orchestre Philharmonique de Radio France au zénith de sa forme. Que ce soit dans les airs accompagnés et plus encore dans les pages plus strictement instrumentales (lumineuse ouverture de Rouslan et Ludmila de Glinka, Danses polovtsiennes du Prince Igor de Borodine, rayonnante Polonaise d’Eugène Onéguine, adagio tiré du Spartacus de Khatchatourian), chaque pupitre est superbement mis en valeur et en parfaite situation par un chef toujours savamment attentif. Pour l’occasion, les Chœurs des Opéras d'Avignon, Monte-Carlo et Nice se trouvent réunis sous la coordination de Stefano Visconti, en charge habituellement du chœur monégasque. Le travail effectué doit être salué, même si les fort difficiles parties des Danses polovtsiennes marquent la limite d’une préparation de fait trop limitée dans le temps.
Du côté des solistes, Ekaterina Gubanova présente un extrait des Chants et Danses de la Mort de Moussorgski « Polkovodetz » et surtout la magnifique chanson a cappella de Lioubacha (La fiancée du Tsar de Rimski-Korsakov) : legato de rêve, intensité émotionnelle, traduction parfaite des couleurs et aisance sur toute la tessiture. Le ténor Bogdan Volkov émerveille à son tour dans l’air de Lenski d’Eugène Onéguine, osant dans ce vaste espace toutes les subtilités et les raffinements du rôle. Il trouve en la mezzo Ekaterina Sergueïeva une complice de caractère pour le duo réunissant Kontchakovna/Vladimir du Prince Igor. Cette belle artiste interprète remarquablement la troisième chanson du personnage Lel (dans l’Acte 3 de La fille de neige de Rimski-Korsakov). Olga Pudova, excellente technicienne et soprano colorature, ne met pas en avant son individualité pour l’air brillant de la Reine Chemakha du Coq d’Or. Elle paraît plus assurée avec Zdes’ khorosho, issue du cycle des 12 mélodies de Rachmaninov. Magnifique aussi de ligne et d’engagement, la basse Vitalij Kowaljow en Grémine d’Eugène Onéguine et en Prince Igor. Le baryton Boris Pinkhasovitch enlève l’air de Robert de Iolanta avec une réelle aisance, mais dans le duo final d’Onéguine, il se trouve confronté à une Oksana Dyka qui semble hélas dépassée. Les moyens de cette dernière, depuis son Aïda décriée à l’Opéra Bastille en 2013, ne se sont pas améliorés et un vibrato intempestif s’est désormais installé marquant son interprétation de l’air de Lisa dans La Dame de Pique.
Nonobstant, la soirée reste placée sous le signe du talent et de la pleine adéquation au répertoire. Pour conclure le concert, l’ensemble des solistes interprète la scène finale, si délicate, de Iolanta. Et comme bis, la chanson populaire russe Les Nuits de Moscou, rendue célèbre en France par Francis Lemarque sous le titre Le Temps du muguet, s’impose au grand bonheur des auditeurs. Toute l’âme russe et ses frissons garantis parcourent alors les gradins du Théâtre Antique.