Récital d'airs de Russie touchants et amusants à Francheville
Comme il en est devenu tradition, le Festival In Voce Veritas invite des élèves du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon pour le tout dernier concert du week-end. La thématique en ayant été l’invitation au voyage, c’est en Russie que les jeunes interprètes emportent le public venu remplir l’IRIS (salle municipale) de Francheville. Si la culture russe a puisé beaucoup d'influence dans l’Europe occidentale au XVIIIe siècle, la forte personnalité des artistes a rapidement permis la création de musiques aux couleurs toutes particulières. Le chant étant déjà bien ancré dans la culture slave, la musique lyrique des compositeurs du XIXe est enrichie de ses mélodies et magnifiée du rythme de sa langue.
En ouverture de récital, le chœur amateur La Cantoria offre le 12ème Concerto pour chœur seul de l’ukrainien Dimitri Bortnianski (1751-1825). À la manière d’un concerto grosso de Corelli, cette œuvre a cappella en trois mouvements présente des défis de langue et de polyphonie ambitieux pour la trentaine de choristes, qui ne faiblissent pas sous la direction énergique de leur chef Emmanuel Drutel.
Lors de ce récital, cinq élèves du CNSMD de Lyon, trois chanteurs et deux accompagnatrices, se partagent le programme. La soprano Morgane Boudeville (qui se rendra en juin à Dijon pour La Clémence de Titus) est la première à faire entendre un timbre d’une belle chaleur, avec des airs de Sergueï Rachmaninov (1873-1943). Ses aigus paraissent parfois difficiles mais sa présence assurée et toujours souriante font vite oublier ces détails. L’autre soprano de la soirée est Pauline Loncelle, dont la rondeur du timbre sied très bien à ce répertoire russe. On apprécie aussi son attention au texte et l’intensité de ses interprétations d’airs de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Si les piani sont beaux dans l’air de Lisa, extrait du troisième acte de La Dame de Pique, sa voix n’y paraît pas toujours très homogène, avec des aigus un rien forcés. Toutefois, sa scène de la lettre de Tatiana, extrait d’Eugène Onéguine, est tellement bien incarnée que la chanteuse réussit à émouvoir. Le contre-ténor Léo Fernique présente les succulentes sept Enfantines de Modeste Moussorgski (1839-1881). Il fait preuve de talents de comédiens qui enchantent le public : par son jeu et aussi la maîtrise de sa palette de timbres, il se montre tout aussi convaincant en enfant innocent, naïf et malicieux qu’en mère grondante ou rassurante. Le public pourrait se croire russophone, non seulement par l’excellent travail de prononciation, mais également par les intentions scéniques du chanteur.
Quelques ensembles font rencontrer les trois grands élèves. Le duo Tak I rvietsya (l’âme se torture) de César Cui (1835-1918), par Pauline Loncelle et Léo Fernique, crée d’abord une intéressante confusion des timbres, l’auditeur ne sachant plus par moments de quelle bouche sortent les voix. Angiel I Diemon (Ange et démon) de Rimski-Korsakov (1844-1908) souffre sans doute des vibratos bien distincts des deux chanteuses : serré pour Morgane Boudeville, ample pour celui de Pauline Loncelle. On apprécie ensuite la complicité de Boudeville et Fernique lors de Posle grozy (Après l’orage) d’Alexandre Gretchaninov (1864-1956). Le concert se termine par Ya v’grote jdal tibia (Je t’attendais dans la grotte) de Sergueï Taneïev (1856-1915), un trio homogène malheureusement gâché par une intonation douloureuse des dernières notes que le bis n’a pas su rattraper.
Il ne faut pas oublier le travail attentif des élèves en accompagnement piano, la toute jeune Anna Giorgi et l’expérimentée Chloé Elasmar. La première fait preuve d’une technique certaine et de belles couleurs sombres mais reste toujours très concentrée, ne réussissant pas encore à libérer son expressivité. La seconde possède une assurance qui montre une certaine habitude à l’exercice de l’accompagnement de récital, sachant laisser toute sa place à la voix tout en racontant quelque chose depuis son clavier, et prendre la parole lorsqu’elle lui est donnée. On aurait sans doute voulu que la pianiste aille plus loin dans ses intentions et soit peut-être moins douce dans ce répertoire aux sonorités parfois volontairement rudes mais à la fois si belles.