Une Sacrée programmation avec Insula Orchestra (et invités) à La Seine Musicale (et au-delà)
Un feu sacré
Gloria ! c'est ainsi que cette sacrée programmation a commencé en octobre dernier avec Vivaldi et Le Concert Spirituel d’Hervé Niquet.
Alleluia ! s’est ainsi poursuivie cette saison avec Le Messie de Haendel en décembre à La Seine Musicale toujours, avant Gand, Toulouse et Barcelone, puis le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence ce 1er avril (nous y avons consacré un autre article, avec Laurence Equilbey).
Magnificat ! de Bach fut en décembre l'occasion d’inviter le Collegium 1704 de Václav Luks, avant la reprise en janvier du Requiem de Mozart mis en scène par le chorégraphe Yoann Bourgeois (notre compte-rendu) avec accentus, Insula Orchestra et Laurence Equilbey.
Et la programmation se poursuit à La Seine Musicale, dès ce mois de mars avec deux programmes “Passionnants”, puis en avril et en mai.
La Passion selon Saint Jean de Bach invite le 26 mars Justin Doyle avec le RIAS Kammerchor et l'Akademie für Alte Musik Berlin : un chef-d’œuvre incontournable à la période de Pâques, par un orchestre et un chœur qui sont des références dans la musique baroque. À ce titre, ils ont beaucoup inspiré le travail de Laurence Equilbey, et les inviter s’inscrit dans cette politique de La Seine Musicale, d’inviter de prestigieux ensembles dans un répertoire fameux.
Les 28 et 29 mars, Laurence Equilbey dirigera ses phalanges dans un programme Bach, de l'abîme à la lumière, et elle nous le présente : « C’est un programme-concept assez inédit qui réunit Ouverture, Motets et Cantates de Bach père et fils. J’aime beaucoup le parcours de ce programme, qui s’ouvre avec le fameux “De Profundis” (Des profondeurs, je crie vers toi), ainsi que le motet “Komm, Jesu, Komm”. Puis vient le motet “Jesu, meine Freude” (Jésus, ma Joie) avec les commentaires de la foi du charbonnier, et un parcours de plus en plus profond et spirituel. Nous terminons alors ce programme par une cantate festive et rendant grâce : “Heilig” (Saint) de Carl Philipp Emanuel Bach. »
Le Chœur accentus chantera également les Vêpres de Rachmaninov et une commande passée à Sivan Eldar, sous la conduite de Sigvards Kļava le 26 avril : l’occasion aussi de confier les phalanges de Laurence Equilbey à des chefs invités (comme elle-même est invitée à diriger d’autres phalanges). Ce programme présente ainsi littéralement des liens entre la tradition et la modernité, entre France et Lettonie (les pays baltes étant un épicentre de la vocalité, bien connu donc aussi de Laurence Equilbey) et avec l’invitation de cette compositrice née en 1985 à Tel Aviv. Pour ce programme comme pour les autres, La Seine Musicale est un temple acoustique, encourageant les liens entre les pièces et les artistes invités, comme s’en félicite la chef : « Cette salle est ainsi idoine pour Insula Orchestra, pour les ensembles sur instruments d'époque que nous invitons mais également pour le Chœur accentus qui chantera les Vêpres de Rachmaninov (comme cette acoustique fut épanouissante pour le chœur et l’orchestre du Concert Spirituel que nous avons accueillis dans le Gloria de Vivaldi, au sein d’un programme qui contenait d’ailleurs lui aussi des raretés).
Nous programmons ainsi chaque saison des pages sacrées, qui nous permettent d’entretenir des compagnonnages au long cours avec des solistes, des ensembles, des chefs. Nous construisons des parcours artistiques, avec des musiciens qui deviennent ainsi des partenaires de notre projet, parce qu’ils sont dans cet état d’esprit : celui de servir les œuvres, avec un ton originel et original. Ils sont très attentifs à l’esprit de l'œuvre et ont un point de vue fort, basé sur des recherches et un travail de l’expressivité. »
Enfin, Thomas Hengelbrock viendra avec ses orchestre et Chœur Balthasar Neumann le 6 mai pour le Dixit Dominus de Haendel et une Messe de Bach.
Une Sacrée programmation en somme ! une saison dans la saison mais qui est inscrite dans les origines-mêmes d’Insula Orchestra et dans le parcours de Laurence Equilbey, comme elle nous le raconte : « L’oratorio est pour moi une madeleine de Proust. La musique sacrée, parallèlement à la musique symphonique, est un genre qui s’est pleinement imposé à moi, notamment durant mes études musicologiques à Vienne, puis en tant que chanteuse, puis en tant que chef. La musique sacrée touche en moi un affect profond, et elle a accompagné tous les débuts de ma carrière. Quand je suis revenue de Vienne, nous avons assez rapidement travaillé avec Christophe Coin, qui avait créé son orchestre Mosaïques (un peu sur le modèle de celui d’Harnoncourt) pour des concerts, des disques, sur des œuvres rares de Mozart, des cantates de Bach (que nous sommes allés enregistrer en Allemagne de l’Est tout juste réunifiée).
J’ai aussi fait beaucoup de cantates et de motets aux débuts d’accentus (notamment dès que nous avions quelques moyens financiers pour engager un orchestre sur instruments d’époque pour nous accompagner). De surcroît, accentus a été rapidement demandé pour des projets sacrés par d’autres structures, notamment par l’Orchestre de chambre de Paris à la Philharmonie de Paris et à l’Opéra de Rouen Normandie.
La musique sacrée est incontournable, car elle contient tant et tant de chefs-d’œuvre : le sacré (de diverses obédiences) a profondément influencé l’art et la musique (qui a repris sa spiritualité, ses symboles et ses secrets). C’est donc un fil que nous suivons passionnément, pratiquants et croyants ou non.
Monstres sacrés
Nous avons ainsi très vite atteint au sacré : l’un de nos premiers disques avec accentus a été consacré à l'œuvre sacrée de Francis Poulenc. Et il en est allé de même pour Insula Orchestra : la musique sacrée était bien entendu inscrite d’emblée dans la feuille de route fondatrice de cet ensemble sur instruments d’époque, et dans sa résidence ainsi que le projet de La Seine Musicale. Le premier concert de la première saison d'Insula Orchestra était consacré à la Messe en ut mineur de Mozart en 2012. Puis, après les concerts d'inauguration de La Seine Musicale en avril 2017, notre deuxième programme en ce lieu fut consacré à "La Création" de Haydn. C’était et c’est toujours l’occasion privilégiée d’interpréter des sommets et des ouvrages sacrés du répertoire, des pièces que je voulais interpréter depuis toujours… et de le faire sur instruments d’époque, avec un projet au long cours, dans un lieu d’exception. Cette programmation sacrée se complète ainsi parfaitement avec notre programmation symphonique et lyrique : pour proposer une saison complète dans les Hauts-de-Seine.
Nous pouvons ainsi inviter le public à redécouvrir des chefs-d’œuvre mais aussi de grandes raretés. Le Collegium 1704 a ainsi réussi dans son programme le Magnificat de Jean-Sébastien Bach avec la Missa Corporis Domini de Jan Dismas Zelenka. Thomas Hengelbrock réunit le célèbre Dixit Dominus de Haendel avec une Messe de Bach (qui n'est pas la Messe en Si).
Pour notre part, nous pouvons aussi bien donner des Cantates plus rares au concert que des œuvres légendaires telles que Le Messie de Haendel, aussi bien à Noël à La Seine Musicale, qu’à Pâques à Aix d’ailleurs.
Sacrés Parcours
Nous avons vraiment à cœur de faire voyager ces programmes, que La Seine Musicale soit aussi une piste d’envol vers d’autres lieux, dont le Grand Théâtre de Provence où je suis artiste associée, ainsi que dans d’autres salles à travers le pays et le continent (et jusqu’à New York, Hong Kong, etc.). Toutefois, et je le regrette, nous avons dans ce pays trop peu de lieux vraiment adaptés à la musique et à ce répertoire. J’ai eu récemment l'occasion d’aller à Soissons dans sa nouvelle Cité de la Musique et de la Danse : c’est le type d’équipements dont devraient disposer toutes les villes de taille moyenne en France, pour accueillir le public et la musique dans de belles conditions de plaisir acoustique.
Sacrée acoustique
À ce titre, La Seine Musicale est une salle particulièrement exceptionnelle pour les effectifs allant jusqu’à une bonne centaine de musiciens. Nous pouvons également accueillir des formations symphoniques sur instruments modernes (à condition de ne pas être dans une démesure d’effectifs de cuivres), et cette acoustique est de tout premier ordre pour les orchestres sur instruments d'époque. Le feuilletage acoustique de cette salle valorise à la fois le détail de la sonorité et sa rondeur, tout en soutenant les volumes et les contrastes. C’est vraiment ce que nous avons cherché dans sa conception : les couleurs sont riches, les balances très fines. Le son est ainsi brillant et chaleureux, profond sans l’excès de réverbération que peuvent avoir des cathédrales.
Sacrées Ouvertures
Ce chemin se parcourt avec ces ensembles grâce à des concerts, mais aussi de grands projets dont “LaDocumenta”. C’est d’ailleurs à l’occasion du lancement de cette plateforme numérique partageant les fonds documentaires des orchestres, que Thomas Hengelbrock a été invité à La Seine Musicale en juin 2023 : l’occasion d’un colloque, l’occasion pour Thomas Hengelbrock d’entendre des concerts à La Seine Musicale, mais c’est le 6 mai prochain qu’il y dirigera pour la première fois. Le chef fondateur des ensembles Chœur et Orchestre Balthasar Neumann (sur instruments d’époque bien entendu) partage avec nous ses impressions : « J'ai été à La Seine Musicale en tant qu'auditeur, ce sera la première fois que j'y dirige. Je suis très reconnaissant envers ma collègue Laurence et j'ai une grande admiration envers ce qu’elle a bâti. D’autant plus que je comprends parfaitement ce que représente le fait de construire (un ensemble, un programme, en un lieu). J'ai d'ailleurs choisi pour mon ensemble le nom d'un architecte (Johann Balthasar Neumann). Pour construire, pour bâtir de tels projets musicaux, il faut une grande énergie (afin de trouver les musiciens, l'administration, pour défendre et déployer ses ambitions).
La merveilleuse Seine Musicale est vraiment quelque chose de fantastique et Laurence a accompli un grand geste, très appréciable. C’est aussi un geste très amical de sa part, de nous inviter ainsi. Nous voulions rendre possible cette collaboration depuis longtemps. L’occasion s’est ainsi présentée avec ce programme réunissant le Dixit Dominus de Georg Friedrich Haendel et la Messe en sol mineur de Jean-Sébastien Bach que nous présenterons d’abord dans la magnifique salle de bal du Château de Fontainebleau dans le cadre de notre résidence artistique au château. Je trouve que La Seine Musicale est un lieu parfait pour présenter ce programme par la suite, et un lieu parfait pour cette musique.
Ces deux pièces sont vraiment magnifiques. J'ai déjà dirigé le Dixit Dominus il y a longtemps avec les Ensembles Balthasar Neumann, mais jamais cette Messe en Sol mineur (alors que nous avons joué plusieurs fois du Bach). J'ai depuis longtemps le souhait de diriger cette pièce, et j'ai la chance de pouvoir concevoir de très beaux programmes tels que celui-ci : avec des pièces très excitantes et très exigeantes pour l'Orchestre et le Chœur.
Le Dixit Dominus est (pour moi aussi) le premier chef-d'œuvre de Haendel. Il l'a écrit très jeune, à 20 ou 21 ans en Italie lors de son premier voyage transalpin de trois années. J'adore cette première manière de Haendel : celle de cet extraordinaire jeune Saxon déjà célèbre et qui est venu en Italie montrer ce qui est possible... dans le style italien ! Cette pièce est l'une des œuvres religieuses les plus virtuoses jamais écrites. Son feu sacré, cette manière d'ouvrir encore plus les horizons de la musique d'église n'a pas d'égal dans le répertoire, pas même dans la période tardive de Haendel.
La Messe en Sol mineur de Bach appartient pour sa part à la catégorie des Messes Brèves, durant une vingtaine de minutes, comme une cantate. Il s'agit d'ailleurs de réécritures de mouvements de cantates. Ces Messes montrent néanmoins le grand art de Bach : comment il peut construire une musique qui prenne aussi des libertés par rapport à la parole chantée (Bach est ainsi bien plus libre vis-à-vis du Mot que Mozart). Bach n'illustre pas tant le sens du mot que le caractère d'ensemble. Cette Messe est ainsi un exemple parfait d'une musique pour la musique. Bach veut montrer tout ce dont la musique est capable. C'est donc un contrepoint parfait avec le Dixit Dominus de Haendel écrit trente ans plus tôt.
La musique tisse ainsi des liens nouveaux avec un grand tout, qu'on peut appeler, pour certains, Dieu. Cette musique nous apporte ainsi une élévation de l'Humanité. Et le jeu sur instruments d'époque nous amène plus près de la volonté du compositeur, vers ce qu’il attendait, ce pour quoi il a écrit. Bien sûr, je dirige aussi sur instruments modernes y compris ce répertoire baroque, et j'apprécie alors le fait de guider ces musiciens sur ces dimensions nouvelles pour eux. Mais lorsque je joue ce répertoire sur les instruments de l'époque, comme avec mon Balthasar Neumann Ensemble, alors je me sens "chez moi" avec cette musique (et j'espère que la musique se sent chez elle aussi). Chaque élément est ainsi à sa juste place : les couleurs, les nuances, les équilibres entre les instruments et les chanteurs. »
Réservez vos places pour les concerts à venir de cette saison Musique Sacrée à La Seine Musicale :
Mardi 26 Mars : Bach - Passion Selon Saint Jean avec Florian Sievers, Dominic Barberi, Sarah Aristidou, Matthias Winckhler, le Rias Kammerchor et l'Akademie Für Alte Musik Berlin, direction Justin Doyle
Jeudi 28 mars : Bach, de l’abîme à la lumière avec Sheva Tehoval, Emmanuelle De Negri, Rose Naggar-Tremblay, Gwilym Bowen, Victor Sicard, Insula Orchestra, direction Laurence Equilbey
Vendredi 26 avril : Les Vêpres de Rachmaninov et The Stone, The Tree, The Well de Sivan Eldar (création commandée par accentus & le Choeur de la Radio Lettone) avec Ganavya Doraiswamy, accentus, direction Sigvards Kļava
Lundi 6 mai : Georg Friedrich Haendel - Dixit Dominus et Johann Sebastian Bach - Messe en Sol Mineur avec les Chœur et Solistes Balthasar Neumann, direction Thomas Hengelbrock