Projet EVE : la musique par les voix originelles de la jeunesse
C'est la première fois qu'ils sont ainsi tous réunis ensemble, au Studio de la Philharmonie de Paris, ils et elles sont 280, viennent de différents collèges des Académies de Créteil, Paris et Versailles et pourtant le voyage est déjà bien embarqué. Un voyage pour 2022-2024 durant lequel ils se formeront par une "approche psychocorporelle du chant". Le chant, le chœur, le cœur, le corps et l'esprit sont ainsi mobilisés ensemble dans le travail de répétitions qu'ils font dans leurs classes de collèges respectifs, dans ces moments de mises en commun et dans leurs spectacles à venir.
Cette première rencontre a de quoi impressionner la poignée d'invités mais surtout et d'abord tous ces jeunes participants, réunis ainsi tous ensemble entre tant de classes différentes, à cet âge collégien où l'image de soi et les rapports aux autres sont souvent loin d'être évidents, a fortiori pour un si grand groupe dans un lieu nouveau. Et pourtant ils sont déjà embarqués dans le même bateau et c'est avec un naturel enthousiaste qu'ils forment tous, littéralement, un grand cercle (à cinq rayons tant ils sont nombreux). Ce grand cercle est celui du premier morceau qui marque leur rencontre : un traditionnel Kecak balinais. Les onomatopées percussives et mélodies envoûtantes se transmettent de section en section chacune à l'unisson (avec peu de bourdons et quelques voix déjà déployées), accompagnées de gestes qui font eux aussi voyager la musique (vagues souples des bras, chatouilles des mains levées, corps se tournant et symbolisant un corps social synchronisé), le tout relayé et dynamisé par les intervenants accompagnateurs stratégiquement disséminés dans le cercle. Un échauffement des cuisses et des mains (le même exactement que "We will rock you" de Queen) sert à faire sans transition le voyage vers le bel canto, tout en gardant une intensité percussive pour entonner le chœur des bohémiens du Trouvère. Là encore les gestes accompagnent le chant, et pas d'une manière littérale : les jeunes ne frappent pas d'enclumes imaginaires, pas plus qu'ils n'imitent de gitane. Ils rejoignent leurs mains devant eux en écartant les bras, créant ainsi l'espace de leur cage thoracique et pour leur chant. Ils mettent ensuite les mains à plat en descendant vers le sol justement au moment de la montée vers les aigus pour garder l'assise. Leur prestation se conclut par un travail du parlé, mais de combien il peut être expressif et théâtral : pour cause, il s'agit de jeter des proies dans la gueule du Monstre du labyrinthe.
Le travail est ainsi pensé à l'image de son résultat : les œuvres interprétées mobilisent le corps et la voix pour former groupe. Les intervenants utilisent ici encore des outils de méthodes actives, ajustant les postures en s'inspirant de Technique Alexander, alliant rythme et mouvement dans l'espace comme l'enseigne la rythmique Dalcroze (et puis certaines techniques ancestrales de centres aérés tel le décompte "3, 2, 1..." fait à très haute voix pour récupérer l'attention et obtenir un silence concentré).
Ève lève-toi tes enfants ont grandi
Ainsi se déploie la voix d'EVE dans sa première mise en commun : en un retour aux sources de la voix et du corps, et même s'il s'agit de la "deuxième phase" du projet, c'est un véritable lancement (la première phase ayant été une expérimentation pilote avec des classes de CE2 et CM1). La première phase sur laquelle était d'emblée présente la Fondation Bettencourt Schueller a permis, comme nous l'explique son directeur général Olivier Brault, de "mettre au point la pédagogie d'EVE, valider les disciplines et leur décloisonnement, au service de l'efficacité et des bienfaits pour l'enfant : ce que la phase 2 vient multiplier et amplifier". Une multiplication bienvenue pour la Fondation qui assume une bonne partie de l'addition, en investissant 2,7 millions d'euros au total, dont 1,1 pour EVE 2 (au budget annuel de 850.000 euros).
Retrouvez notre interview d'Olivier Brault et nos présentations du Prix Liliane Bettencourt pour le chant choral
"Le meilleur cours de la semaine"
Carla et Avana, 13 ans, camarades de la classe de 4ème au Collège International de Fontainebleau qui participe à ce projet (les classes ont été choisies par les Inspecteurs d'Académies) répondent également à nos questions et d'une même voix (une autre influence de ce travail harmonieux), l'une finissant les phrases de l'autre et réciproquement pour nous dire combien "Les répétitions se passent très bien en classe, il y a de l'écoute, pas de bruit, une bonne ambiance, de la participation. C'est le meilleur cours." "Le meilleur de la semaine ! C'est très intéressant : je n'avais jamais eu de tels échauffements et exercices, physiques et vocaux. Je n'avais jamais entendu des musiques pareilles." "Tous ces morceaux sont une grande découverte, au début c'était bizarre." "Mais on s'y habitue." "On reçoit de bons conseils pour la forme de la bouche, pour détendre les genoux afin de faire sortir la voix..."
"Nous avons même désormais deux heures de musique d'affilée avec ce projet au collège (l'autre heure était une heure de permanence pendant que d'autres élèves ont anglais renforcé) : une heure avec l'intervenante Astrid ou avec Philippe et une heure avec notre professeure de musique, Madame Boulanger." Ni l'une ni l'autre n'était venue à la Philharmonie ou n'est allée à l'opéra mais toutes deux, ensemble toujours nous chantent les louanges de ces morceaux : "l'italien chanté est très beau, la voix est magnifique quand on chante tous ensemble." Et ces deux jeunes chanteuses en herbe de se relayer de la même manière pour raconter le minotaure et comment il est ici chanté : pour se représenter cette créature "mi-homme mi-taureau", il faut "imaginer quelqu'un qu'on n'aime pas et qu'on voudrait amener au minotaure, pour le faire ressentir quand on chante."
L'une n'a pas fait de musique et n'en "fait" pas en-dehors de ce projet, voudrait faire médecine plus tard, aime la pop et le RnB, Summer Walker aussi. L'autre a commencé la batterie et la basse il y a deux ans, aime "des musiques plus anciennes" : du rock (Queen) ou du métal (Slipknot, Mayhem) et elle veut pour sa part désormais être musicienne (ou bien en rester à son projet de devenir océanographe). "Nous sommes très contentes que notre classe ait été choisie par notre professeure pour ce projet. Le cours de musique est vraiment le meilleur cours de la semaine" chantent-elles en cœur.
EVE & EAC
Ce projet EVE vient ainsi nourrir le grand chantier de l'EAC (Éducation Artistique et Culturelle) tant mis en avant par l'Éducation Nationale. Chacun des participants d'EVE, chacune des classes en bénéficie pour sa formation mais a aussi vocation à "essaimer", dans leur famille, école, ...
Et si EVE est un projet français, il est très ouvert aux cultures et pourrait aussi être prononcé à l'anglo-saxonne, le mot "eve" signifiant aube, tant les promesses et projets sont nombreux.
Ce projet vise également un double volet spécialisé et plus global en France : avec la création d’un chœur d’adultes professionnels qui rejoindra le chœur EVE mais également des chœurs associés (avec les collèges Louis Pasteur de l'Académie de Strasbourg, Notre Dame de Bellecombe de l'Académie de Lyon et Guillaume le Conquérant de l'Académie de Rouen) pour former un Grand Chœur Rythmique qui se produira à chaque fin de saison et à l'été des JO de Paris en 2024.
À suivre, sur Ôlyrix bien entendu...