Emy Gazeilles : "Je me définis comme soprano lyrique léger"
Emy Gazeilles, comment vous présenteriez-vous ?
Je suis avignonnaise. Ma mère est chorégraphe et j’ai moi-même fait 10 ans de danse classique qui m'ont apporté des bases scéniques importantes. J’ai étudié le chant lyrique à Lyon puis j’ai fait deux ans au CNSM à Paris, où j’ai obtenu ma licence en juin 2022.
Comment avez-vous découvert le chant lyrique ?
Au lycée, j’ai fait une spécialité musique. Je n’étais alors pas du tout en chant lyrique mais en musiques actuelles au conservatoire d’Avignon. Une professeure m’a suggéré d’aborder le chant lyrique. Elle montait tous les ans des opéras pédagogiques en partenariat avec l’Opéra d’Avignon : nous avons monté La Chauve-Souris quand j’étais en seconde, puis Faust l’année d’après. Nous apprenions nos rôles à l’oreille. Il y avait des coupures, mais nous avions des costumes, sur la scène de l’Opéra d’Avignon.
Vous avez participé aux sélections de la Nouvelle star en 2017 : qu’y recherchiez-vous et comment l’avez-vous vécu ?
C’était une année de transition : je ne savais pas encore ce que je voulais faire. Nous avions un groupe de funk avec des copains. Nous jouions dans les bars et les festivals. J’ai participé à Nouvelle star sans savoir du tout à quoi m’attendre en faisant une émission de télévision. Je n’y ai pas participé pour devenir une star mais pour découvrir ce métier de chanteuse. Je voulais voir si ça me plaisait et découvrir ce milieu.
Vous êtes passée par le CRR de Lyon puis par le CNSM dont vous avez été diplômée en 2022 : qu’y avez-vous appris ?
Bien sûr, on y apprend la technique lyrique et les langues. Ce qui est intéressant également, et pas disponible dans tous les conservatoires, c’est qu’on a des cours de théâtre et de mise en scène, ce qui fait vraiment partie du métier : c’est bien de savoir chanter sa partition, mais il faut aussi la jouer, l’interpréter. J’y ai aussi et surtout travaillé le déchiffrage, qui n’a jamais été facile pour moi. Or, comme on me l’a rabâché dans tous les conservatoires que j’ai fréquentés, c’est fondamental : on doit pouvoir être appelé à la dernière minute pour ne pas passer à côté d’opportunités.
Et cela vous a en effet déjà servi, n'est-ce pas ?
Tout à fait, pour un remplacement à la Cité de la musique en janvier. J’étais à Nantes et ai été appelée à 17h pour répéter le lendemain à 10h à Paris. J’étais confiante : je me disais qu’il ne s’agissait que d’un quart d’heure de Concerto de Germaine Tailleferre. Et cela s’est bien passé, mais c’est un exercice très stressant.
Quelles rencontres avez-vous faites au Conservatoire ?
On retient toujours d’abord les professeurs : on les voit plusieurs fois par semaine. Pierre Ribémont à Lyon et Yann Toussaint à Paris m’ont suivie tout au long de mon apprentissage.
Comment avez-vous vécu la période du Covid ?
J’étais déçue car j’avais énormément d’attentes. J’avais envie d’aller en cours tous les jours en présentiel, de discuter avec mes camarades, de pouvoir poser des questions à mes professeurs. La visio ne remplace pas tout cela, même si nous avons tout de même pu étudier et finir le programme en temps et en heure. Je garde cette frustration de n’avoir pas pu profiter pleinement de la vie étudiante pendant cette période.
Beaucoup de jeunes chanteurs ont finalement renoncé à en faire leur métier, du fait de ce cette crise : qu’est-ce qui vous a fait tenir ?
J’ai eu la chance d’être bien entourée. J’ai été encouragée par mes professeurs qui m’ont dit de ne pas lâcher. Le contrat que j’ai obtenu avec l’Opéra de Rouen et le Théâtre des Champs-Élysées pour Un Rigoletto m’a également motivée à persévérer.
Avant même votre sortie du Conservatoire, vous avez bénéficié d’un nombre significatif d’engagements, ce qui n’est pas si courant : comment l’expliquez-vous ?
J’ai fait une audition à l’Opéra de Rouen. J’ai eu la chance de pouvoir y accéder alors même que je n’avais pas d’agent, ce qui n’est pas habituel. J’ai chanté trois airs et ils m’ont proposé le rôle dans Un Rigoletto. Cela n’a pas été facile vis-à-vis du Conservatoire car j’ai dû rater les cours pendant les répétitions puis cumuler les cours et les représentations. Ça a finalement été possible et je n’en regrette aucune seconde. Je comprends leur position quant aux difficultés que pose le fait qu’un élève s’absente deux mois pour une production, mais il est difficile de demander à un jeune chanteur de choisir entre renoncer à de telles opportunités ou quitter le Conservatoire.
Quelles ont été vos expériences les plus marquantes ?
Je n’ai pour l’instant fait que des prises de rôles. À chaque fois, c’était une langue différente, de nouveaux collègues, de nouveaux théâtres. Chaque expérience est différente. Un Rigoletto a été une très belle expérience car, s’agissant d’une coproduction jouée dans deux maisons, nous sommes restés longtemps ensemble avec les collègues et avons pu nouer des liens d’amitié. De plus, même s’il s’agissait d’une version réduite et en français, je chantais Gilda, ce qui reste mon plus grand rôle à ce stade. Découvrir Verdi en version participative, avec des enfants qui chantent et deux orchestres généreux, était important également. De plus, l’Opéra de Rouen est une maison extrêmement accueillante. J’y suis d’ailleurs retournée ensuite pour un récital.
Vous avez participé à Musiques en fêtes cette année : comment l’avez-vous vécu ?
J'y ai chanté, plus jeune, de nombreuses fois avec la Maîtrise de l'Opéra Grand Avignon ainsi que Pop the Opera. Je chantais lors de la première édition. Quel honneur pour moi de revenir sur cette scène dans un nouveau rôle : je remercie tous ceux qui ont rendu cela possible. Cette soirée Musiques en fête était aussi spéciale car chantais avec mon compagnon [le ténor Diego Godoy, ndlr], ce qui ne nous était pas arrivé depuis Un Rigoletto. Ce qui m’a marquée également, c’est la chaleur du public qui réagit et nous soutient immédiatement. Je ne me suis pas vraiment rendu compte sur l’instant que nous passions à la télévision : j’étais concentrée sur le public présent et ai fait abstraction des caméras qui nous tournaient autour. Ce qui permet de réaliser qu’il y a un public important qui regarde, c’est les présentateurs que l’on entend, et tous les retours et félicitations que l’on a reçus après la soirée.
Au-delà de cette soirée, la spécificité de Musiques en fête et qui est un cadeau incroyable, c’est qu’on nous offre notre portrait Harcourt. C’est un outil précieux. Les photos, en noir et blanc, sont magnifiques, avec un beau travail sur les lumières et les ombres. Habituellement, lors d’un shooting, on nous demande de bouger pour prendre différentes poses. Là, je devais rester immobile et eux bougeaient les lumières autour de moi.
Face à cette précocité, y a-t-il un risque que les choses aillent trop vite ?
Effectivement, lorsqu’on est jeune et qu’on a peu d’expérience, il est difficile de savoir si on va être capable de chanter un rôle. Avant d’accepter une proposition, je m’assure avec mon chef de chant Antoine Palloc d’avoir l’endurance pour le faire, en travaillant le rôle en entier. Ainsi, on se rend compte tout de suite si la voix colle ou non au rôle proposé.
Vous êtes lauréate de la promotion Génération Opéra 2023 : qu’est-ce que cela vous a apporté ?
Cela a été un très beau tremplin, surtout pour moi qui n’ai pas encore d’agent. Ça a été l’occasion de me faire entendre par des directeurs d’opéras. Ils vont même envoyer nos vidéos à des maisons étrangères.
Vous intégrerez en août prochain la nouvelle troupe de l’Opéra de Paris : comment cela s’est-il fait ?
Le recrutement s’est d’abord fait sur dossier, puis il y a eu deux auditions. Certains proches m’ont conseillé de tenter ma chance, d’autres trouvaient cela risqué car je suis encore jeune et que nous n’avons pas de recul sur les attentes de l’Opéra, s’agissant de la première promotion. J’ai tenté ma chance en me disant que je pouvais toujours essayer et voir à quoi cela me mènerait. Je me sentais capable de chanter les trois airs de l’audition. Les demies-finales ont eu lieu dans une grande salle de Bastille qui permettait de tester la voix, puis la finale a eu lieu directement sur la scène. Le jury s’était placé tout au fond du parterre pour tester notre volume. Heureusement, nous n’assumons que des seconds rôles : n’ayant jamais chanté à Bastille, il aurait été périlleux de s’y confronter à un rôle de premier plan. Je participe à de belles productions. Nous sommes en CDD de 12 mois, renouvelable sur trois ans maximums. D’autres artistes ont déjà été auditionnés pour compléter la troupe l’année suivante.
Votre saison sera donc exclusivement basée à l’Opéra de Paris ?
Oui, il s’agit d’un temps plein, car les productions s’enchainent : je vais participer à Cendrillon et Don Quichotte, deux Massenet (ce qui est un hasard), et serai aussi doublure sur la production de Jules César. Je devais aussi doubler Olympia [dans les Contes d’Hoffmann, ndlr], mais je vais à la place chanter le Feu et le Rossignol dans L'enfant et les sortilèges. J’aurai simplement deux semaines de vacances, pendant lesquelles je chanterai l’Amour dans Orphée et Eurydice à l’Opéra de Toulon [en mars 2024, ndlr].
Vous conduisez votre début de carrière sans agent : pourquoi ?
J’ai eu des discussions, mais qui n’ont pas été plus loin. Pour l’instant, j’arrive à me débrouiller parce que je suis tombée sur les bonnes personnes aux bons moments. Les concours, et notamment celui des Saisons de la Voix 2022 présidé par Raymond Duffaut, m’ont donné accès à de nombreuses propositions. J'ai rencontré des personnes du milieu qui aujourd'hui me font confiance et me font travailler. À plus long terme, cela sera toutefois plus compliqué de faire sans, car il faudra que j’auditionne dans les maisons d’opéra avec lesquelles je souhaiterai travailler, ce qui ne peut se faire qu’avec un agent. L’agent aide aussi dans tout le travail administratif : il va arriver un moment où je ne pourrai plus gérer ces aspects toute seule. Il faut que je puisse me consacrer prioritairement à l’apprentissage de mes rôles. Par ailleurs, l’agent a un rôle de conseil, par exemple sur le choix des airs à présenter pour une audition, ou pour déterminer les rôles auxquels je veux être identifiée.
Justement, quels rôles constituent à vos yeux les pierres angulaires de votre répertoire ?
À part Gilda en version participative, je n’ai pas encore eu l’occasion de chanter des premiers rôles, il est donc difficile de répondre. Cependant, je travaille silencieusement le répertoire de Donizetti. C’est un répertoire sur lequel j’aimerais pouvoir m’appuyer. Marie dans La Fille du Régiment, par exemple, me conviendrait bien, tout comme Adina ou Linda di Chamounix, voire même Inès dans La Favorite, qui est un très beau rôle bien que moins exposé. Ce sont en plus des rôles qui peuvent se renouveler au gré des idées des metteurs en scène. Ces rôles permettraient aussi de développer ma voix, car il n’y a pas que des aigus.
Comment voyez-vous votre répertoire se développer ?
J’ai débuté en tant que soprano léger et l’on a du coup tendance à me catégoriser dans ce répertoire. Mais aujourd’hui, je me définis plutôt comme soprano lyrique léger : je m’y sens plus à l’aise. J’y dispose de plus de temps pour étaler ma voix. Je vais travailler Les Noces de Figaro durant l’été : c’est un rôle dans lequel je m’éclate car ce n’est pas très aigu, il y a même de beaux graves, et cela me change. Cela fait aussi partie des rôles par lesquels je peux développer ma voix sans prendre de grands risques.
Quels sont vos rêves et vos ambitions en tant que chanteuse ?
Déjà, j’aimerais trouver un agent qui puisse devenir un compagnon de travail, pour m’aider dans mes choix. Il est parfois difficile de distinguer mon rêve du rêve que me dicte la raison, pour faire carrière, en fonction de tout ce qui m’a été conseillé jusqu’ici.
Qu’est-ce qui vous fait rêver, vous, quand vous allez à l’opéra ?
Quand je vois une mise en scène traditionnelle, d’une Traviata par exemple, cela m’attire aujourd’hui car je n’ai pas encore eu la chance d’en faire. De manière plus générale, la musique belcantiste me fait rêver à l’opéra. Les Chorégies d'Orange ont bercé mon enfance lorsque j’étais à la Maîtrise de l’Opéra d’Avignon : nous chantions au Théâtre antique, un lieu fait pour la voix. J’y avais fait un concert en hommage à Patrick Bruel, au cours duquel je chantais seule avec un micro, devant ce public immense. Cela reste un souvenir marquant, et j’aimerais y rechanter un rôle (au-delà de l’émission Musiques en fête). De manière plus générale, j’aimerais chanter dans des lieux en extérieur, car on y voit le public comme dans les salles de musiques actuelles, alors que dans les salles d’opéra, on ne voit que les trois premiers rangs.