La Seine Musicale rend hommage à Patrick Devedjian
Les artistes et le lieu ont vécu comme un choc, brutal, le décès de leur père fondateur, d'autant que les nouvelles de M. Devedjian était meilleures, semblaient même rassurantes suite à son hospitalisation, et qu'il était un homme "très dynamique et vif, nous rappelle Philippe Jaroussky. En cela son décès inattendu est une nouvelle alerte terrible sur le sérieux de cette épidémie".
"Président Devedjian" (car Président du conseil départemental des Hauts-de-Seine), le nomme encore Gaël Darchen (Directeur de la Maîtrise des Hauts-de-Seine) qui travaille avec lui depuis 1986 et nous parle d'un homme qu'il a appris à connaître avec toute "son appétence communicative pour la culture, diffusée à travers le département et au-delà. Un homme d'abord très discret, infiniment plus présent et disponible qu'on ne pourrait l'imaginer. Quelqu'un de très respectueux avant tout : des structures qu'il soutenait, laissant les coudées franches aux responsables, aux artistes afin de s'exprimer pleinement, librement. Quelqu'un témoignant son admiration pour les projets culturels et la créativité (qu'il contribuait ainsi à stimuler). Il m'a appelé dès les débuts de son idée de Seine Musicale pour me demander si j'accepterais que la Maîtrise en fasse partie, un geste très élégant alors que c'est lui nous donnait un beau cadeau, en offrant aux enfants des conditions d'apprentissage du chant lyrique et de la scène uniques au monde : tout est mis en place (équipement, locaux, équipes) pour que les enfants aient accès gratuitement grâce au département, à cette pratique."
"Constructif, opiniâtre et courageux dans le débat d'idée, la joute politique aussi mais pour agir, concrètement et en déployant les synergies" c'est ainsi que Laurence Equilbey (Directrice du choeur accentus et de l'Insula Orchestra en résidence à La Seine Musicale et au Département des Hauts-de-Seine) décrit également M. Devedjian et son action pour La Seine Musicale : "il ne ménageait ni son temps ni sa peine au service de ce projet qui demandait un investissement financier, matériel et humain, pour convaincre les élus et les acteurs, porter le projet à travers le territoire afin de rendre le programme éducatif et de transmission au plus proche de chacun."
Philippe Jaroussky (dont l'Académie fait partie de La Seine Musicale) conserve le même souvenir : "celui d'un homme à l’écoute, sage et dans l'action, mélomane. Nous qui sommes éloignés de la vie politique avons parfois des clichés sur eux (comme il existe des clichés sur les chanteurs d'opéra), mais à le côtoyer j'ai pu mesurer son engagement, sa conviction (comme j'ose l'espérer, plusieurs dans ce monde). La Seine Musicale est l'incarnation de son idée et de son engagement.
J'ai connu Patrick Devedjian lors de la création de notre Académie, poursuit Philippe Jaroussky, il nous a immédiatement reçus, aidés, et de plus en plus chaque année, toujours avec un immense enthousiasme. Il était très fier de cette Seine Musicale et de nous y accueillir, il rappelait combien il est rare qu'un politique soit non seulement à l'origine d'une telle idée mais puisse rester en mandat pour l'inaugurer, et puis pour l'apprécier. Il était très investi : je peux dire qu'en cela aussi il était unique, parmi les politiques (parmi les ténors de la politique) à s'être autant impliqué. Patrick Devedjian était passionné par la Politique dans le sens premier et noble du terme : qui consiste à changer la vie des gens. J'ai eu de nombreuses conversations avec lui et cette récompense, cet impact durable sur la vie et la culture des citoyens lui tenait à cœur. Nous étions aussi impressionnés par sa forte personnalité : il n’aimait pas les tergiversations, il fallait que les projets avancent, il visait l’efficacité et trouvait les solutions."
Une action soutenue par une conviction et une culture selon Laurence Equilbey : "Dès les premières réunions d'élaboration du projet de La Seine Musicale, il avait rappelé combien pour lui la culture était importante, aussi importante que les ponts et les routes. Cet engagement n'était pas qu'une formule, d'autant qu'il échangeait directement avec les artistes grâce à ses convictions et à sa culture. Nous pouvions parler avec lui de musique, d'art, de littérature, d'histoire. C'était un romantique (le début du romantisme, musical notamment, le touchait beaucoup avec l'engagement pour ce combat d'idées, et au niveau peinture il aimait beaucoup le XVIIe siècle) : cela rend les échanges d'autant plus intéressants et cela permet aussi aux artistes de pouvoir échanger sur des questions politiques, la situation et l'action culturelle d'une métropole."
Gaël Darchen qui rappelle les nombreux projets artistiques et culturels portés par le Président Devedjian dans son département à l'image d'une pluridisciplinairté cultivée : La Seine Musicale mais aussi le projet de rénovation du musée départemental Albert-Kahn, la Vallée de la culture, le projet de musée de la peinture du XVIIIe qu'il était sur le point de mettre en oeuvre, bien entendu le Château de Sceaux, la maison de Chateaubriand. "Le Département des Hauts-de-Seine qui n'est tout de même pas si grand a une richesse culturelle à son image, à l'image du message qu'il martelait : allier l'économie et la culture.
Comme toutes les personnes d'esprit, il était aussi curieux de tout et ne se posait pas de barrière culturelle, complète Gaël Darchen. J'ai été très surpris et impressionné par sa culture et son écoute. Je me souviens que nous avions donné à la Maison de Chateaubriand une réduction d'orchestre de Juditha triumphans de Vivaldi en enlevant une trompette et un hautbois, il avait repéré cette absence et me l'avait signalé avec grande modestie ! J'ai aussi appris très tardivement qu'il écoutait dans sa voiture quelques enregistrements qui l'avaient particulièrement touchés (et qu'il avait effectué lui-même avec son téléphone lors d'un de nos concerts, dans les Jardins de la maison Albert Kahn) des extraits du Didon et Enée de Purcell et du Lamento della Ninfa de Monteverdi. Il était passionné et mettait au-dessus tout la transmission de l'émotion, la capacité à être saisi, par une voix, un instrument, brisant bientôt la glace d'une certaine pudeur qui caractérisait les premiers moments d'échange en sa compagnie."
S'il se posait la question d'être à nouveau candidat pour de prochaines élections, "il y serait très certainement allé, confie Mme Equilbey : il avait encore de nombreux projets, dont celui d'une Statue de l'Egalité et il y aura aussi une Statue de la Fraternité un peu plus loin, afin qu'avec la Statue de la Liberté, il y ait ces trois symboles des valeurs de la République à l'entrée de Paris."
La Seine Musicale se veut ainsi un projet artistique et éducatif, comme en témoignent les concerts et ensembles en synergie avec une Académie et une Maîtrise : "Porter le projet à travers le territoire afin de rendre le programme éducatif et de transmission au plus proche du territoire, c'est un projet d'inclusion artistique et social : il s'adressait aussi aux publics éloignés de la culture, fragilisés, aux migrants, précise Laurence Equilbey. Patrick Devedjian était très attentif aux questions d'égalité. J'ai découvert en lui un féministe, ce qui m'a beaucoup plu. Il comprend les enjeux d'équité, est sensible à l'injustice : il était très attentif à nos projets valorisant les artistes féminines."
"Quand on crée un projet tel que cette Académie, insiste Philippe Jaroussky, c'est un support inestimable. Tout comme son soutien moral et enthousiaste ! Je n'oublierai pas ce jour où nous accueillions de nouveaux enfants dans notre académie : lorsqu'il avait appris qu'une famille était dans la difficulté, il s'était mobilisé en personne pour leur trouver un nouveau logement.
Au-delà de l'accueil financier et matériel à La Seine Musicale sur l'Île Seguin à Boulogne-Billancourt, il brillait par sa grande présence constante : il était là pour tous les grands concerts, pour les remises des instruments aux jeunes enfants, il aimait beaucoup venir écouter les Jeunes Talents et appréciait la variété de personnalités artistiques et humaines." Gaël Darchen abonde en peignant le portrait de quelqu'un "au plus près de l'humain, suivant la carrière des jeunes musiciens : il connaissait les enfants, individuellement."
"La Seine Musicale que Patrick Devedjian incarnait, conclut Laurence Equilbey, est endeuillée". "Le retour à la vie artistique, lorsque cette crise sera finie, restera marqué par ce personnage, investi dans ce projet, promet Philippe Jaroussky. Il faut voir ce qu'il laisse. J'attends d'autant plus la fin de cette triste période pour pouvoir chanter lors d'un concert hommage que nous rendrons à Patrick Devedjian, dans sa Seine Musicale." "Il était très fier de sa Maîtrise, confirme Gaël Darchen : il venait les voir à La Seine Musicale, et dans les spectacles à l'Opéra de Paris, au Théâtre des Champs-Elysées. Un grand événement était prévu au mois de mars avec lui pour les 35 ans de la Maîtrise. Il aura lieu plus tard en son hommage évidemment. Nous sommes aussi infiniment touchés de voir combien les familles sont touchées, de lire les nombreux témoignages des jeunes chanteurs qui ont écrit directement pour faire part de leur tristesse à voir ainsi disparaître un membre de leur famille. Il aurait sans doute été ému et surpris : c'est à son image."
En espérant que les salles de concerts et les théâtres pourront ouvrir de nouveau dès que possible et que La Seine Musicale saura affermir sa place dans le paysage culturel francilien, fidélisant notamment un public plus nombreux autour de son projet musical. "Comme tous les projets, il faut continuer à y travailler mais grâce à Patrick Devedjian, la matière est là, affirme Gaël Darchen : La Seine Musicale a été créée avec tous ses projets d'aménagement, la gare du Grand Paris juste en face, cette passerelle qui mènera du Pont de Sèvres jusque sur l'Île, des aménagements de transports vers l'Île Seguin. Ce sont autant de témoignages d'une action politique mise au service de l'action culturelle et des concitoyens."