Pinocchio s'aventure à Rouen
Pour ces Aventures de Pinocchio, la compositrice Lucia Ronchetti a puisé le texte à sa source originelle : dans le roman de Carlo Collodi publié en 1881. Avec un esprit d'ouverture et de collaboration visible lors de la représentation, le texte traduit en français a été adapté pour les enfants, et les musiciens eux aussi ont participé à la composition du livret et de la scénographie. Cette implication remarquable (et remarquée) des cinq instrumentistes de l'Ensemble intercontemporain avec Juliette Allen en Pinocchio donne au spectacle cohérence et vitalité : le mélange est aussi réjouissant qu'indispensable pour un spectacle grand public. Chaque musicien est un personnage instrumental, chaque instrumentiste (maniant Violon, Violoncelle, Contrebasse, Cor ou Percussions) a un rôle. Dès lors, on ne s'étonnera pas de découvrir les références de Lucia Ronchetti : le théâtre musical de Kagel et d'Aperghis avec leur esprit d'invention théâtrale instrumentale. Tous les instruments se déplacent sur la scène, y compris le contrebassiste, pour interagir avec Pinocchio, l'encourager, le menacer, l'applaudir, le terroriser. Le violon gratte son instrument comme une guitare ou bien lance des coups d'archet piqués à la Paganini, le cor souffle, tempête et aboie, tandis que les percussions démontrent l'étendue de leurs timbres et effets (y compris une antiquisante et amusante machine à tonnerre). Ces instrumentistes peuvent s'appuyer sur la myriade de citations de la partition : un Lamento de Monteverdi monte crescendo jusqu'à une fanfare des Balkans, entrecoupée de Rameau, Lully, Chopin mais aussi One of These Days des Pink Floyd.
La soprano belge d’origine anglaise Juliette Allen est un nom à retenir (et à ajouter à vos favoris, grâce au bouton en haut de sa page Ôlyrix). Ses qualités vocales au service d'un jeu d'actrice généreux et convainquant sont la promesse d'une belle carrière, à travers les styles d'opéras (du comique léger au lyrique poignant). La virtuosité Rossinienne de sa voix sait retomber dans une récitation poignante et mélancolique. De sa voix guillerette, elle gambade parmi les bambins confortablement installés devant la scène sur de longs traversins aplatis, avant de poser un ancrage vocal mélancolique qui rayonne et tournoie à travers les ogives de la chapelle.
Juliette Allen en Pinocchio (© DR)
Cette implication absolue et remarquable de tous les artistes est renforcée par une mise en scène intelligente et sensible, qui sait exploiter les ressources d'un aussi beau lieu que la Chapelle Corneille. La mise en scène tire ainsi profit de la merveille de l'endroit, et notamment de la cerise sur ce gâteau de crème jaune : "La sphère", une imposante géode de 7 mètres de diamètre qui trône au plafond. Outre son aspect impressionnant et fascinant, cet objet "unique au monde" conçu par l’atelier d’architecture "King Kong" tient un rôle fondamental puisque, muni d'une lentille acoustique, ce chandelier varie l'acoustique du lieu. Le public parvient ainsi à comprendre le sens des paroles et à entendre les notes des musiciens, qui se mélangeraient sinon dans cette église réverbérante. Cet astre acoustique et réfléchissant est également un chandelier aux diodes lumineuses, le spectacle sait en jouer dans une ambiance de discothèque avec la musique effrénée comme les aventures du pantin.
La Chapelle Corneille (© DR)
Il existe un critère évident pour mesurer la qualité d'un spectacle jeunesse : l'état physique de son public. Les enfants ont en effet cette spontanéité intransigeante qui rend leur jugement d'un opéra immédiatement visible et audible : si le spectacle a des longueurs, les têtes blondes s'agitent, se dispersent, bavassent, se chamaillent, voire même bayent aux corneilles. Mais si, comme ce fut le cas pour ce Pinocchio, le spectacle est de qualité, alors les enfants restent concentrés, fascinés, imprégnés dans l'histoire de bout en bout.
Souhaitons un beau voyage à ce Pinocchio, déjà programmé à travers la France et précisément composé pour être un opéra mobile, s'adaptant à toute salle, à une cour de récréation, ou à tous les endroits où un rond peut être tracé au sol à la craie !