Philippe Jordan sur la Messe en si de Bach : "Le chœur va montrer son immense qualité"
Dans la salle de répétition boisée construite à l’emplacement de la future salle modulable de l’Opéra Bastille (lire notre article), se tient ce jeudi le service solistes-orchestre dirigé par le Chef et Directeur musical de la maison, Philippe Jordan, en vue de la Messe en si de Jean-Sébastien Bach qui sera donnée le 14 février prochain. Ôlyrix a pu assister à cette répétition.
Philippe Jordan (© Philippe Gontier / OnP)
Le Maestro donne ses indications : « Chaque note est précieuse : il faut la remplir de douleur ! ». L’orchestre s’élance alors. Sans l’interrompre, le chef donne de la voix, réglant en direct les nuances. Une fois à la fin du numéro, le chef donne quelques instructions en allemand au ténor Pavol Breslik (à entendre actuellement dans La Flûte enchantée). Il discute avec le premier violon solo d’une note sur laquelle s’appesantir ou qu’il souhaite voir allégée. Il n’hésite pas à donner de la voix pour expliquer ce qu’il attend : le violoniste reprend le passage, et lorsque l’exécution convient au chef, tous les premiers violons notent la décision sur leur partition. Les autres pupitres sont ensuite associés, afin de déterminer jusqu’où appuyer une dissonance prévue par Bach. Les dynamiques entre pupitres sont également discutées. La répétition achevée, il remercie les musiciens et accepte de répondre à quelques-unes de nos questions.
Pourquoi est-ce important de jouer du Bach à l’Opéra de Paris ?
C’est toujours important de jouer Bach. C’est devenu un domaine de spécialiste, nous n’avons donc plus le courage ni l’habitude de le jouer. Nous avons joué cette Messe en si ainsi qu’une Passion avec l’Orchestre symphonique de Vienne que je dirige, dans le cadre du Festival Osterklang au Theater an der Wien. Ils m’ont accordé leur confiance, en tant que chef d’opéra, pour jouer ce répertoire. Je me suis alors dit : « Pourquoi pas ? ». J’ai compris que nous avions quelque chose à apporter, même si nous ne sommes pas spécialistes de ce répertoire. C’est même vital pour nous de le faire : c’est notre pain quotidien, ce que nous avons travaillé durant nos études. J’ai par exemple joué le Clavier bien tempéré, nos violonistes ont tous travaillé les Suites et les Partitas. Mais nous ne les jouons pas en représentation car nous abandonnons ce répertoire aux spécialistes, qui de leur côté, jouent aujourd’hui aussi bien Berlioz que Beethoven, voire même Wagner. Nous n’allons pas le jouer comme Karl Richter, bien que j’adore son travail. C’est également très important pour le chœur, pour lequel c’est un très grand défi : c’est à la fois extrêmement virtuose, souple et fin. Après Moïse et Aaron (lire notre compte-rendu), qui leur a permis de montrer son immense qualité, il a pu travailler une année sur cette partition : c’était important à mon sens.
Et pour le public, pourquoi est-ce important d’entendre du Bach ?
Nous allons apporter une interprétation différente de celle dont le public a l’habitude. Nous l’abordons de manière informée, sur instruments modernes, avec des chanteurs qui sont capables de chanter aussi bien du Mozart, du Wagner que du Bach. C’est d’ailleurs ce que me disait Michael Volle qui a chanté la Passion selon Saint-Matthieu, qui interprète actuellement La Flûte enchantée dans le rôle de Papageno et qui est aussi un grand interprète wagnérien : ces répertoires s’enrichissent mutuellement. Il me semble que nous avons une proposition artistique à apporter, qu’on peut ensuite aimer ou non. Nous allons aussi apporter un savoir-faire en matière de théâtralisation : l’Agnus dei est très proche d’une aria d’opéra, par exemple.
Philippe Jordan (© Les Films du Losange)
Cette initiative sera-t-elle reproduite lors des prochaines saisons ?
Ce n’est pas prévu pour l’instant. Evidemment, j’aurais vraiment aimé faire une Passion en regard de Parsifal. Mais la réalité de l’opéra m’en a empêché : on ne pouvait pas ajouter cela à Parsifal et Benvenuto Cellini qui se jouaient en même temps. La charge de travail aurait été trop importante pour le chœur. Mais, même s’il n’y a qu’un concert, c’est un bon début, qui est très important pour le chœur qui y aura travaillé pendant un an : sa qualité va être exposée d’une manière vitale.
Vous dirigez actuellement deux productions d’opéra, ce concert ainsi que d’autres représentations avec l’Orchestre symphonique de Vienne. De même, la saison prochaine, vous dirigerez trois productions à la fois : comment gérez-vous cette intense charge de travail ?
D’abord, Lohengrin (à réserver ici) est la seule œuvre nouvelle : je connaissais déjà les autres, ce qui est important. Ensuite, le sommeil est primordial. Il faut beaucoup dormir et ne jamais se demander si l’on est fatigué ! Et puis se consacrer et se concentrer totalement sur ce que l’on fait : maintenant, c’est Bach, hier soir, c’était Lohengrin, demain soir ce sera Cosi fan tutte. J’adore varier les spectacles et les répertoires : c’est tellement enrichissant ! Cela me permet d’apporter la souplesse de Cosi à Lohengrin. Ce sont des œuvres techniquement tellement différentes ! Je trouve beaucoup de similarités entre Wagner et Bach, dans le traitement des voix du chœur ou dans le sens dramaturgique, par exemple. Les textes que Wagner écrit viennent des cantates de Bach : la filiation est évidente. Au début de la Walkyrie, Siegmund chante « Gerastet hab ich und süß geruht, weiter wend ich den Schritt » (J’ai pris haleine et doux repos, loin d’ici je m’en vais !) : ce pourrait être le titre d’une cantate. Constater ces liens est fascinant !