Roméo et Juliette, amours et passions en direct du Met
Après la mise en scène audacieuse de La Forza del Destino au début du mois, le Metropolitan Opera renoue avec la tradition. Pas de grande surprise dans cette mise en scène classique signée Bartlett Sher (retrouvez notre compte-rendu de cette production in loco en 2018 marquant la prise de rôle de Charles Castronovo, ainsi que notre compte-rendu de Rigoletto par Bartlett Sher pour les débuts au Met de Speranza Scappucci et Benjamin Bernheim). Les décors imposants de Michael Yeargan et les costumes XVIIIe siècle de Catherine Zuber reprennent fidèlement ceux de la production, passée auparavant par la scène de La Scala de Milan et du Festival de Salzbourg. Cette fois, les rôles-titres sont endossés par la soprano américaine Nadine Sierra et le ténor franco-suisse Benjamin Bernheim. Tous deux forment un duo touchant, soudé par une remarquable complémentarité. Elle brille par sa spontanéité, lui est tout en retenue et en élégance. Ils respirent tous deux la même écoute de l’autre et le même dévouement à la musique de Gounod.
Il est vrai que la direction musicale de Yannick Nézet-Séguin est particulièrement soignée. Au micro de l’hôte Ryan Speedo Green, le chef ne manque pas de faire part de son engouement pour cette œuvre. Il souligne la finesse de l’orchestration, surtout dans les scènes de transition dépeintes avec beaucoup de sensibilité, mais également dans les duos dont l’accompagnement réduit au strict nécessaire recentre toute l’attention sur l’intimité des voix. Là où l’action pourrait se perdre en longueurs, il sait instiller du rythme. Quant à la tension dramatique de l’acte central, sa montée en puissance est savamment dosée. Les choristes, bien préparés par Donald Palumbo, contribuent à parfaire le tableau. Ils sont très en place et portent une attention minutieuse au texte.
Bien en voix dès son entrée en scène, Benjamin Bernheim dégage une impression d’aisance et de naturel dans le rôle de Roméo, tant par sa diction exemplaire que par son émission rayonnante, jamais forcée. Le spectateur en salle de cinéma lui pardonnera quelques accrocs sur ses aigus en voix pleine, car les aigus à mi-voix sont suavement palatisés, vibrants d’émotion.
Nadine Sierra prête à Juliette une personnalité affirmée, franche et volontiers espiègle, qui sait aussi se montrer violemment tourmentée et poignante. Sa voix est riche, sertie d’un vibrato incandescent. Quel que soit le registre de la voix, la présence ne semble jamais lui faire défaut. Ses aigus sont solidement timbrés. Seule pourrait lui être reprochée sa prononciation du français, marquée par un peu trop d’emphase sur les voyelles. Le texte n’est pas toujours compréhensible, mais ses intentions de jeu très justes le compensent aisément.
Quelque peu relégués dans l’ombre des deux amoureux par le livret de Jules Barbier et Michel Carré, les seconds rôles ne déméritent pas ici.
Frederick Ballentine est Tybalt, l’autre ténor de l’opéra. Son émission vigoureuse en voix de poitrine et son timbre sombre et flamboyant assurent le caractère belliqueux de l’ennemi de Roméo.
Frère Laurent est incarné par Alfred Walker, un interprète encore jeune, mais dont la voix profonde et vibrante sied au personnage. Il met en avant par ailleurs une belle longueur de phrasé, un legato soyeux et une diction très acceptable.
Avec un sérieux appliqué, le baryton Will Liverman s’acquitte du rôle de Mercutio. Sa voix de cuivre est bien projetée dans l’aigu et son débit est énergique.
Stéphano, jeune page de Roméo, est interprété par Samantha Hankey, mezzo-soprano à la voix percussive et au vibrato rapide. Elle fait montre d’une belle souplesse vocale pour percher ses aigus, puissants et timbrés.
Non crédité sur le programme distribué au cinéma, le baryton-basse Nathan Berg mérite pourtant quelques fleurs dans le rôle du père de Juliette, qu’il entonne d’une voix sonore, un peu sèche sur l’aigu mais non dénuée de nuances. Eve Gigliotti prête à la nourrice Gertrude sa voix corsée, au grave bien amplifié dans le masque.
En Pâris, fardé et perruqué à souhait, le baryton Daniel Rich n’a que peu l’occasion de faire entendre sa voix mielleuse. Également baryton, Jeongcheol Cha prête à Grégorio sa voix large et claironnante. Sa diction est malheureusement peu claire. Thomas Capobianco, ténor, est bien présent sur les quelques répliques de Benvolio. Enfin, Richard Bernstein campe le Duc de Vérone, qui apparaît uniquement pour exiler Roméo à l’acte III. Son intervention ne manque ni de volume, ni d’autorité, mais sa voix de basse sonne assez sèche.
Le public newyorkais applaudit à tout rompre les deux rôles-titres, venus saluer en même temps. Même dans la salle de cinéma, quelques personnes ne peuvent s’empêcher d’émettre un bravo et des applaudissements.
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