Réjouissances hivernales : Le Messie de Haendel avec Insula et accentus
"Réjouis toi grandement, fille de Sion" (Rejoice greatly, O daughter of Zion) ! Ainsi commence le grand air de soprano, dans ce Messie de Haendel, tout en ruissellement de vocalises et effets de colorature. Extrêmement virtuose et véloce, il demande à Marie Lys, qui l'interprète (et qui remplace au pied levé Sandrine Piau) un grand abattage technique, au service d'une joie déferlante et envahissante. Le défi est affronté avec simplicité et naturel, alors qu'elle n'était pas prévue dans le casting de départ.
Simplicité et naturel : voilà qui peut définir la version du Messie de Haendel, par Insula Orchestra et le Chœur accentus, donnée dans l'Auditorium de La Seine Musicale. La musique est rendue dans sa fine dentelle, sa richesse d'écriture. Le grand lyrisme des airs et les courts récitatifs sont parfaitement dosés. Le figuralisme expressif de l'écriture orchestrale met au mieux en valeur les intentions du texte, l'écriture polyphonique, les fugues brillantes et enlevées...
Très attachée à l'esthétique d'une interprétation historiquement informée, Laurence Equilbey dirige dans son intégralité (ce qui est loin d'être toujours le cas) cet oratorio parcourant la vie (et la résurrection) du Christ : en deux heures quinze de musique menées tambour battant.
Toujours dans l'idée de délivrer le message musical tel que voulu par le compositeur, ce sont 31 instrumentistes et 30 chanteurs qui sont présents sur la scène de l'Auditorium de La Seine Musicale (loin des énormes effectifs auxquels les années 1980 avaient habitué les auditeurs). Au sein de l'orchestre, un luth, un orgue positif (posé, et non en tribune) d'accompagnement et un clavecin, donnent une présence de la basse continue telle qu'elle existait à l'époque. Et Insula joue bien entendu comme c'est son identité, sur des instruments d'époque : trompettes naturelles (sans pistons), cordes en boyaux et timbales anciennes. Au final, donc, une version simple et naturelle, débarrassée d'un vernis envahissant mais également interprétée de manière enjouée et enlevée par les différents protagonistes musicaux, l'orchestre, le chœur et les solistes.
Pour ouvrir le bal des solistes, le ténor anglais Stuart Jackson introduit cet oratorio avec une aisance et une conviction souriantes et affables, jouant bien sur les différents registres et s'appuyant sur un coffre vigoureux pour moduler ses effets de voix, aidé par une émission claire et une diction du devant de la bouche extrêmement efficace. Même si les ornements manquent parfois de présence, sa qualité de conteur musical emporte l'adhésion. Lui succède la basse américaine Alex Rosen. Également à l'aise dans le conduit musical de sa part de l'histoire, avec un timbre bien placé, il est cependant peu précis dans les passages vocalisés. Le contre-ténor français Paul-Antoine Bénos-Djian amène son beau timbre clair au service de la partie d'alto, déroulant un discours musical fluide et agréable, parfois un peu trop véhément et avec des passages mal assurés avec sa voix de poitrine. La soprano française Marie Lys, enfin, parachève ce bouquet de soliste d'une touche de glamour et de brillance. Très à l'aise dans son rôle et tout à fait libérée vocalement, elle déploie pleinement ses possibilités vocales : agilité, rondeur, précision et justesse.
Le Chœur accentus paraît particulièrement en forme. Agile, presque joueur et très homogène, il semble faire fi de la difficulté de la partition. Sa couleur générale est chatoyante et miroitante, avec l'apport astucieux et séduisant de trois voix hommes dans le pupitre d'alto mais également des aigus des sopranos émis tout en souplesse, des voix de basses bien campées mais sans lourdeur et des ténors guillerets et agiles.
L'orchestre est lui aussi bien à son affaire, très dans l'écoute et le partage, ménageant des contrastes et affichant le plaisir du jouer ensemble.
Cette impression de simplicité et de naturel, pour une partition traditionnellement traitée de manière grandiloquente est due en grande partie, sinon pour l'essentiel, à la cheffe Laurence Equilbey. Fondatrice du Chœur accentus et d'Insula Orchestra, elle n'a nul besoin d'en faire trop, préférant, par des gestes réduits au minimum, faire confiance aux interprètes, pleinement maîtres et connaisseurs de la partition à jouer. À rebours d'un chef dirigiste et virulent, elle se positionne en accompagnatrice des variations de dynamique et d'accents de la partition, avec un plaisir contagieux.
Le public réjoui salue ainsi chaleureusement ce concert lumineux.