À Vichy, deux Magnificat (et deux Bach) pour le prix d’un
Et un plus un qui font...une ! Deux compositeurs pour une seule et même famille d’illustres musiciens : les Bach. D’un côté, Jean-Sébastien, le père, de l’autre Carl Philipp Emanuel, le fils. Et au milieu, une même inspiration biblique pour l’écriture de deux Magnificat composés à 25 ans d’écart et devenus des pièces majeures du répertoire pour chœurs. Deux odes à la joie sacrée et à l’exultation des âmes, déclinées en douze parties pour l’une (celle du père, qui composa ici l’une de ses rares œuvres en latin) et neuf pour l’autre (le fils), mais toutes reliées par une même matière permettant la pleine fusion des voix et un dialogue subtil, presque intime, de celles-ci avec un effectif orchestral aux élans voulus comme passionnés et miséricordieux.
Une variété de tempi et de couleurs dont la restitution se trouve ici confiée à l'expertise de l'Orchestre national Auvergne-Rhône Alpes, invité récurrent de la maison vichyssoise, qui met tout son savoir-faire et son sens de l’équilibre et de l’écoute mutuelle au service des deux partitions. Placé sous la direction tout en vivacité d’Enrico Onofri, sachant autant imprimer un rythme tout en grazia aux divers allegro qu’une mesure bien plus modérée à l’évocation de sentiments davantage affligés, l’ensemble de cordes se trouve ici renforcé par cors, trompettes, flûtes et autres hautbois d’amour, qui tous viennent prendre leur part à ces élans de solennité qui se succèdent entre intimité et jubilation.
Chœur et solistes en fusion
Des transports émotionnels qui doivent aussi beaucoup au savoir-faire du professionnel (car tel est bien son statut) Chœur Spirito une nouvelle fois préparé par Nicole Corti. Les 35 choristes, répartis des clés de fa à cour jusqu’aux sopranos à jardin, marient les tessitures et brassent les atmosphères sonores variées, qu’elles soient ici enflammées, là quasi monastiques, et le plus souvent galvanisantes, notamment pour entamer l’une et l’autre des œuvres, comme pour scander un « Magnificat » à toutes gorges déployées.
L'expressivité se retrouve également portée par les solistes, tous de nationalité italienne. Carlotta Colombo, soprano au timbre aussi vif que soyeux, s’épanouit particulièrement dans ce registre sollicitant autant délicatesse d’émission que technique affirmée. Ample, lustrée par des aigus lumineux et des vocalises ondoyantes, la voix se distingue par cette manière, tout en subtilité, de jouer du crescendo pour donner tout son sens au mot et le faire vivre jusqu’à expiration d’un souffle qui sait se faire long. L’alto au timbre chaud de Margherita Maria Sala envoûte tout autant, avec une qualité de ligne non moins soignée, et un chant également soucieux de se faire aussi sonore qu’intelligible.
Fulvio Bettini met lui en exergue une voix de (baryton-)basse aux augustes atours et au medium bien creusé, dont la souple ligne et le sens d’une diction appliquée s’apprécient notamment dans le Quia Fecit (chez Bach père) introduit par d’impeccables violoncelles. Enfin, le jeune Dave Monaco, que la carrière mène aussi sur des chemins plus opératiques (comme en début d’année pour un Cosi fan tutte façon « flower power » à Toulon), il place ici son ténor assis lui aussi sur un solide medium au service d’un texte dont chaque strophe se trouve soigneusement polie. La voix aimante moins par sa rondeur de timbre que par sa vigueur d’émission, mais elle sait se faire imperturbablement juste et assurée en projection, culminant à de mêmes niveaux d’expressivité que celles des autres membres du quatuor qui récolte ici une juste ovation pour sa double performance. Ovation valant aussi, et très largement, pour des instrumentistes et choristes venus prendre un savoureux plaisir à magnifier ces Magnificat ayant visiblement réchauffé les cœurs.