Tristan et Isolde en format de poche à BOZAR
Revu par l’arrangement du compositeur néerlandais Henk de Vlieger et présenté sous la baguette d’Antony Hermus à la tête de l’Orchestre National de Belgique, la qualité de l’opus est mise au service d’un rodéo tragique de 70 minutes chrono.
En amont de la représentation, le chef d’orchestre spécialiste de Wagner, Antony Hermus engage la conversation avec le public en compagnie de l’arrangeur Henk de Vlieger afin d’apporter des précisions sur les raisons d’un tel projet. Cette version “prive” donc le public d’environ 200 minutes de musique, laissant la romance de Tristan et Iseult tenir en une course contre la mort et la montre. Beaucoup auraient pu s’en plaindre, mais le public bruxellois prouve comme à son habitude une grande tolérance face aux remaniements, appréciant la substantifique moelle de l’opus.
Percussionniste à l'Orchestre Philharmonique de la Radio néerlandaise depuis près de 40 ans, Henk de Vlieger a initié son travail de compilation symphonique dans les années 1990 au service du cycle du Ring de Wagner. Réputé, le compositeur a par la suite créé des compilations pour d'autres drames musicaux du maître allemand comme Parsifal ou Tristan et Isolde. Henk de Vlieger a dirigé ici son attention vers sept fragments cruciaux pour renforcer la trame narrative de cette œuvre, comptant sur la participation active d'un narrateur : Florestan Bataillie, qui assure, en français et en néerlandais, la cohésion entre les diverses scènes de l'œuvre.
Cette sélection représente les moments clés de l’opéra, au sommet desquels figurent le Nachtgesang (Chant de la nuit, rencontre amoureuse et musicale entre Tristan et Isolde) ainsi que le fameux Liebestod (Chant d’Amour et de Mort : la Transfiguration d’Isolde). Antony Hermus maîtrise habilement l'art de présenter le génie wagnérien en jonglant entre réduction et compression, servi par une énergie redoutable. En accentuant, en concentrant l’intensité physique des interprétations, l'œuvre abandonne sa nature marathonienne pour se rapprocher d’un sprint. Malgré une perte de son pouvoir narratif, la représentation se concentre intensément sur le génie musical de son créateur.
Mais si le corps de l'œuvre est réduit, il n’en est rien pour l'orchestre dont la présence imposante captive le public. Dans un état d'exaltation, le chef d'orchestre assure la pleine présence de la générosité wagnérienne, livrée avec une précision remarquée. Maître de la cavalcade, le directeur musical assure un travail d’équilibre constant, pour un résultat perfectionniste et enlevé. Ne laissant pas de temps aux retombées ou moments de repos, l’Orchestre National de Belgique est totalement sollicité, offrant un rendu velouté aux mouvements, fugaces et versatiles.
En réponse à cet orchestre, la distribution des solistes n’est définitivement pas en reste. Miina-Liisa Värelä offre une lecture très digne du rôle d’Isolde. Sensuelle, altière et surtout très sensible (malgré une retenue princière), la soprano finlandaise s’affirme de caractère. En plein déploiement vocal, la générosité et le vibrato régulier de la chanteuse s’enrobent d’un velouté presque liquide.
Michael Weinius offre au public l’incarnation d’un Tristan complexe et théâtral (dans une facilité s’expliquant par son habitude du rôle). Tenant le phrasé très prosodique de la langue allemande, le ténor suédois s’accorde tout à fait à la puissance de l’orchestre, formant un champ vocal pleinement instrumental. Le résultat semble sans effort, le naturel et la qualité de jeu s’accordant à la voix haute et lumineuse.
La mezzo-soprano slovène Barbara Kozelj incarne avec solennité et puissance le personnage de Brangäne. Sa présence surprenante au balcon surplombant la scène offre une apparition progressive, sa voix se distinguant de l'orchestre avec sa ligne mélodique à la fois élevée et ancrée, assurée et d’une brillance cuivrée. Le vibrato est large et affirmé, pour cette apparition éclair au sein de l’heure de concert, pourtant remarquée et ovationnée.
La réaction est très chaleureuse de la part du public, qui peine à se remettre de ses émotions à la fin de cette intense cavalcade en 70 minutes wagnériennes. Il pourra retrouver la chevauchée du maître de Bayreuth dès janvier à La Monnaie de Bruxelles pour La Walkyrie de Wagner, mise en scène par Romeo Castellucci.