Don Giovanni barocco-séducteur à l’Opéra de Versailles
L’Opéra de Versailles avait accueilli la trilogie des œuvres créées par Mozart et da Ponte (Les Noces de Figaro, Don Giovanni, Così fan tutte), dans laquelle le baryton-basse Robert Gleadow incarnait comme fort souvent par le passé -et jusqu'en Terre Sainte- Leporello. Les tessitures de Don Giovanni et de son valet étant presque interchangeables, l'artiste fait aujourd'hui ses débuts dans le rôle-titre.
Retrouvez notre entretien avec Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles-Spectacles présentant cette production
Pour ne pas oublier le public qui découvre l'œuvre et pour revenir vers l'esprit d'origine de l'opus, le metteur en scène Marshall Pynkoski présente une production compréhensible de tous et proche de ses racines. Il s'éloigne ainsi des visions plus romantiques et modernes (quoique Mozart mène assurément vers ce romantisme et cette modernité) en soulignant l'équilibre particulièrement soigné de l'œuvre, mettant en avant l’humour qui rythme ce dramma giocoso, soulignant les passages les plus virulents (surtout par les rôles féminins).
La lisibilité limpide de la mise en scène est d'abord celle des décors imaginés par Roland Fontaine (également pour la nouvelle production ayant immédiatement précédé celle-ci : Roméo et Juliette de Zingarelli par Gilles Rico). Les décors sont communs, car ils sont simplement signifiants : des façades de maisons encadrent la scène avec symétrie et une forte perspective, le lointain étant fermé par une façade pleine pour suggérer l’extérieur ou garni d’une grande porte pour situer l’action dans un intérieur agrémenté de lustres. La dynamique de leur utilisation les différencie : par rapport à leurs mouvements nombreux pour Roméo et Juliette, les changements sont ici occasionnels, et les lumières d'Hervé Gary, suivant avec précision le déroulé de l'histoire, habillent la sombre nuit comme la chaleur pour les salles de réception de Don Giovanni.
Les danseurs du Ballet de l’Opéra Royal de Versailles, grâce à la collaboration étroite entre la chorégraphe Jeannette Lajeunesse Zingg et Marshall Pynkoski, s’intègrent pleinement à cette scénographie, soit en tant qu’élégants et agiles figurants, soit comme véritables danseurs baroques lors de scènes rejoignant même l’action dans les moments de collectif.
Les costumes signés Christian Lacroix, assisté de Jean-Philippe Pons, s’inspirent du Casanova de Federico Fellini, rapprochant de manière encore plus explicite la figure mythique de Don Juan avec la personnalité historique de Casanova (qui aurait d’ailleurs participé à la relecture de certains passages de l’œuvre avant sa création : ce que nous vous détaillons sur Classykêo). Il suffit ainsi que Leporello échange simplement sa veste - aux rappels d’Arlequin - contre celle de son maître pour que le subterfuge soit quasiment total.
Dans cette prise de rôle attendue en Don Giovanni, Robert Gleadow se montre toujours aussi énergique mais également (passant du valet au maître) aussi noble que sournois. Le chanteur semble prendre un grand plaisir à endosser ce rôle qu’il attendait tant : il savoure les extravagances de son personnage, jouant d’équilibre entre comique et séduction. Sa voix sait se faire pleine et bien présente, savoureuse et emplie de bravoure, même sa canzonetta ne fait pas dans la finesse, mais dans une virilité assumant intentions de phrasés et de couleurs.
Arianna Vendittelli incarne Donna Elvira avec la présence aussi charmante que sûre de sa voix lumineuse. Ses aigus se font tout aussi autoritaires que ses vocalises. Pourtant, elle sait être particulièrement touchante dans sa vindicte, par la constance et la pertinence de ses phrasés marqués mais finement infléchis.
Florie Valiquette prête à Donna Anna son timbre perçant et léger, justement propice à la vengeance par les inflexions de sa ligne de chant. Son texte manque un peu de consonnes mais son chant ne manque jamais de tendresse et ses vocalises encore moins d’agilité.
Riccardo Novaro joue un Leporello attachant, jonglant avec maîtrise entre le sérieux et le comique de ce rôle, surtout lors de son fameux air du Catalogue. Son timbre se fait sombre, large et affirmé. Masetto est interprété par Jean-Gabriel Saint-Martin auquel il prête son timbre noble et profond avec un certain caractère, revêche et même machiste.
Enguerrand de Hys revêt quant à lui le costume de Don Ottavio avec douceur et charme. Son phrasé se fait toujours très souple tandis que son timbre semble résonner souvent en fond de gorge, comme légèrement voilé, lui prenant en brillance ce qu’il gagne en tendresse dans son expressivité.
Eléonore Pancrazi incarne une tout à fait charmante Zerlina, dont les apparences candides laissent entrevoir une jeune femme finalement pas si naïve. Outre cette subtilité équilibrée et efficiente de son jeu scénique, la mezzo-soprano se fait vocalement délicate, sensible et non moins présente.
Enfin, le Commandeur de Nicolas Certenais est pleinement puissant et profond, effrayant même à travers la fumée très épaisse accompagnant son entrée (le cachant presque complètement).
La direction très active et ample, fort rebondissante de Gaétan Jarry impose dès l’ouverture une atmosphère dramatique et contrastée. Il entraine ainsi les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra Royal ainsi que le Chœur dans une dynamique intensément alerte et vivante. Si cet enthousiasme se fait d’abord un rien trop présent par rapport au plateau, l’équilibre se trouve naturellement dès les premiers numéros. Particulièrement sollicité, Ronan Khalil au piano-forte offre un accompagnement minutieux.
Le Chœur de l'Opéra Royal bénéficie du même entrain que l'Orchestre, manifestant une fraîcheur sonore à l'image de la jeunesse et du talent de ses artistes.
Le public applaudit longuement l’ensemble des artistes, plusieurs spectateurs se levant pour saluer cette production alliant vision originale et classique. Cet accueil et le rideau se relevant brièvement sur Don Giovanni riant avec force montre que la morale chantée à la fin de cette œuvre « Questo è il fin di chi fa mal », cède sa place à la morale de cette production : tout est bien qui finit bien.