Macbeth Underworld voit enfin le jour à l'Opéra Comique
Frédéric Boyer a écrit le livret de cet opéra d’après mais aussi après le Macbeth de Shakespeare. Ce tragique personnage d'anti-héros et sa femme sont ici condamnés à revivre leur dramatique histoire éternellement, aux enfers : à subir les terribles conséquences et souffrances de leurs passions criminelles assoiffées de pouvoir. Les trois sorcières de Shakespeare sont toujours là, pour continuer de les tourmenter et de les manipuler pour l'éternité.
L'esthétique du compositeur Pascal Dusapin et celle du metteur en scène Thomas Jolly résonnent pleinement, ensemble, et chacune avec cet univers fait de symboles cycliques plongeant éternellement dans les ténèbres et la damnation. Thomas Jolly qui s'est fait connaître pour ses mises en scène de Shakespeare et y retourne aussi bien au théâtre qu'à l'opéra, fait littéralement tourner et re-tourner sur ce plateau ses signatures obsédantes et esthétiques : trois tournettes tournant sur la grande tournette qu'est sa scène présentent tour à tour un grand arbre et un palais dont il ne reste que des parois, des portes et des escaliers en colimaçon (le tout garni de nombreux néons et percé de lumières laser : les décors de Bruno de Lavenère résonnent ainsi avec les lumières bien droites d'Antoine Travert). Ses symboles ont beau être ses habitudes (au point que le lit des Macbeth semble parfaitement interchangeable avec le lit de Roméo et Juliette qu'il présentait récemment dans l'opéra de Gounod à Bastille), ils n'en demeurent pas moins puissants et pertinents pour ce drame : les lumières surgissent du sol tels des barreaux de prison, ou bien du ciel comme une illusoire rédemption (le jour et le salut -ou au moins le repos- enfin aperçus disparaissent aussi vite pour ce personnage qui déjà vivant avait perdu le sommeil). Quant aux escaliers et aux arbres, les personnages y montent comme pour sortir de cet enfer, toujours en vain (tout comme ces portes qu'ils franchissent mais qui ne mènent que... de l'autre côté de la porte, exactement au même endroit infernal, a fortiori sur ce plateau qui tourne).
Mais la signature de Thomas Jolly consiste également à aller chercher dans le texte Shakespearien un "détail" qui s'avère absolument capital pour tout le drame : c'est ce qu'il fit également avec Roméo et Juliette en plaçant toute sa mise en scène sous la menace de la peste (fugacement évoquée dans le texte de Shakespeare alors qu'elle est la raison pour laquelle les amants ne sont pas correctement informés du tragique stratagème). Il en va exactement de même pour Macbeth, avec cette fois la figure de l'enfant du couple terrible. La pièce de Shakespeare reste extrêmement mystérieuse à ce sujet, laissant seulement comprendre que Lady Macbeth a allaité. Thomas Jolly décide, en l'installant aux Enfers, de redonner d'une certaine manière vie à cet enfant, ou au moins une présence fantomatique faite pour tourmenter éternellement ses parents (là aussi ce choix de confirmer l'existence de l'enfant des Macbeth change toute la vision de l'œuvre, car si les Macbeth agissent ainsi c'est notamment en sachant qu'ils ne pourront rien léguer, n'ayant pas de descendance).
Pascal Dusapin (dont le premier opéra fut d'ailleurs un Roméo et Juliette, qui a été donné sur cette scène de l'Opéra Comique, avec déjà le Chœur accentus) rejoint lui aussi cet univers avec l'évidence de son esthétique. Sa partition dessine de nets et puissants plans sonores, comme des marches s'élevant vers les aigus et la lumière, mais pour toujours retomber vers les graves profonds de cette fosse (et de la damnation de Macbeth). Le chef d'orchestre Franck Ollu accompagne cette immense descente aux enfers striée de percées lumineuses avec une gestuelle aussi limpide que nécessaire, aussi expressive que possible. Il sait notamment combiner les gestes ronds de la main gauche pour alimenter la noria du Styx, et l'index pointé de la main droite pour donner les départs. Les musiciens de l'Orchestre de l’Opéra national de Lyon -en effectif fourni de percussions- suivent attentivement ses directions mais les passages d'immenses crescendos revenant régulièrement au fil de la soirée (emplissant la salle d'un volume assourdissant comme si le son voulait sortir des enfers) leur demande des efforts qui jouent bientôt sur leur précision et leur endurance.
Le Directeur de l'Opéra Comique, Louis Langrée prend la parole avant le début du spectacle pour se féliciter que cette maison -plus que triséculaire- continue d'être un lieu de créations. Il annonce également que l'interprète de Lady Macbeth, Katarina Bradić n'est pas en pleine forme mais a tenu à chanter. Grand bien lui en a pris et si certains interprètes hésitent parfois à demander des annonces qui seraient bienvenues lorsqu'ils sont souffrants, celle-ci se sera révélée absolument inutile tant il est impossible d'imaginer en quoi l'artiste a pu se trouver gênée. La voix est intense de matière et de vibrato à travers toute la hauteur de sa tessiture, la largeur et même la largesse d'un son cotonneux mais vif, la longueur de ses phrasés pleinement nourris.
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Jarrett Ott offre en Macbeth une prestation complète, du haut en bas, montrant la chute sur le plan théâtral du guerrier d'abord vigoureux qui finira emprisonné dans l'arbre de ses tourments et remords, mais encore davantage vocalement : son chant balaye un ambitus démesuré et même plusieurs, tout en sachant appuyer ses graves pour mieux monter vaillamment vers des aigus soutenus ou passés en voix de tête, le tout comme s'il surfait d'un cercle à l'autre des enfers lyriques.
Les trois sorcières ici nommées "Weird Sisters" (sœurs bizarres/étranges) sont rendues volontairement indissociables, tel un monstre à trois entités et même davantage avec toute leur cohorte de sorcières formée par les femmes du Chœur accentus. Toutes déploient une voix commune extrêmement vibrée, aussi bien dans les chants chaudronneux que dans un sinistre Lacrimosa. Les trois solistes nommées ressortent de cet ensemble par des rires typiques, et en parachevant l'harmonie globale, Maria Carla Pino Cury d'une voix très vibrée, Melissa Zgouridi asseyant le tout tandis que Mélanie Boisvert y apporte une matière équilibrée.
Le fantôme de Banquo (assassiné par Macbeth) hantait déjà le drame de Shakespeare, il le fait de plus belle dans le monde souterrain. Hiroshi Matsui n'a que peu à épaissir et appuyer sa voix pour lui donner les graves d'outre-tombe qui font leur plein effet, tout comme il sait jouer la raideur de celui qui a encore littéralement le poignard dans le dos (et dont le sang coule en paillettes sur son costume immaculé).
Le rôle de l'enfant est confié à Rachel Masclet, membre de la Maîtrise Populaire de l'Opéra Comique. Sa partie pouvant être confiée à une voix d'enfant, le compositeur a veillé à doubler la voix par l'orchestre. Les interventions de la chanteuse s'en trouvent un peu plus sûres mais son timbre demeure très sur, les lignes avançant en restant très droites, entre de nombreux sons glissés.
Enfin, John Graham-Hall ouvre le drame d'une manière Shakespearienne en diable : en Hécate, "déesse de la nuit et de la mort" ici reine de coeur à la robe de sombre tartan (rappelant la dimension baroque du théâtre Shakespearien, et que les hommes y jouaient femmes et allégories). Il est ensuite le clown-portier des enfers, fou à souhait et à lier, mais lançant pour ce faire sa voix dans tous les sens et avec un très large vibrato.
Le public applaudit chaleureusement toute l'équipe de cette production, en commençant par les nombreux techniciens, puis tous les musiciens, l'équipe de mise en scène au centre de laquelle Thomas Jolly rayonne dans un costume aux motifs écossais de circonstance (avant de retourner travailler sur les cérémonies des Jeux Olympiques), et le compositeur Pascal Dusapin (qui a entre-temps effectué un nouveau voyage artistique aux Enfers, avec Dante bien entendu, et bien entendu en italien car il compose dans la langue des drames qu'il choisit).