Les Lombards à la première croisade de retour chez eux
I Lombardi alla prima Crociata sont ainsi de retour chez Verdi, dans son Festival, à Parme chez la duchesse Habsbourg Maria Luigia à qui est dédiée l’œuvre (créée à La Scala de Milan).
Le metteur en scène Pier Luigi Pizzi ouvre ainsi ce Festival au Teatro Regio di Parma en donnant un cadre dramaturgique efficace et élégant pour cette intrigue complexe. Les références kaléidoscopiques du livret de Temistocle Solera (allant de l'Italie du Nord au Moyen-Orient) sont ici représentées par des projections d’images figuratives en noir et blanc sur le fond de la scène. Associées à des costumes austères -rarement d'autres couleurs que le noir et le blanc-, ces images en grande partie statiques vont des représentations de la ville de Jérusalem jusqu'aux appartements d'Acciano à Antioche, en passant par des images de la Vierge Marie, en rapport avec les nombreuses prières de cette partition.
Si la production rend avec clarté le complexe livret, elle fait également monter sur scène certains des solistes de l'orchestre, la partition regorgeant de solos instrumentaux élaborés, tel notamment une longue ritournelle du violon. Sur fond de blessés et de mourants, Mihaela Costea déploie non seulement la superbe de son jeu instrumental, mais devient le quatrième protagoniste de ce quatuor pour trois voix et violon.
La mise en scène suscite toutefois un certain nombre d’interrogations, en raison de certaines inclusions (notamment celle de deux enfants, représentants silencieux de l’espoir et de l’avenir, peut-être), tout comme des questions surgissent sur celles qu’elle ne pose pas, notamment les rapports entre les religions, questionnement sacrifié au profit de la clarté vis-à-vis du livret.
Michele Pertusi, déjà présent pour cette œuvre sur cette scène dans la version gravée en 2009, re-saisit les différents états d'âme de Pagano : la trahison de l'acte I, la pénitence des actes II et III, et une forme d'héroïsme sacré à l'acte IV. Il apporte au rôle une basse sans compromis, riche en couleurs dans tous les registres, une dynamique subtile avec des piani affirmés (et bien soutenus par l'orchestre). Son chant à la naturelle parole marque d'emblée et constamment (même si quelques conclusions tendent à se terminer légèrement en fourche, l'effet peut-être d'une simple fatigue).
Arvino, le frère de Pagano, personnage offrant moins d'impact et de dessin, brille pourtant dans le médium du ténor Antonio Corianò, ainsi que dans les ensembles masculins, avec chœur. Il déploie alors un aigu empli de passion mais moins contrôlé.
Le deuxième rôle de ténor, Oronte, le fils d'Acciano, a la voix d'Antonio Poli, fort puissante dans tous les registres, mais capable de délivrer des phrasés au profond legato, du fond de la scène, jusqu'à Giselda stupéfaite.
Parmi les petits rôles masculins, révélateurs de la teinte de l'histoire et de l'œuvre, le Pirro de Luca Dall'Amico a l'importance de l'écuyer d'Arvino. Même en sortant de presque nulle part, il déclame ses lignes expliquant en grande partie le drame, et le fait de sa voix à l'élégance constante, avec une livraison vocale suave et une excellente diction.
Le rôle d'Acciano se résume à conduire le chœur des ambassadeurs au début de l'acte II, mais William Corrò en livre la colère et la détermination de la hauteur de sa puissance vocale, avec -en abondance- tout ce que le rôle requiert et permet de force déclamatoire. Le prieur de Milan, un autre petit rôle, est tenu par Zizhao Chen, membre de l'Accademia Verdiana, qui semble donner plus de sens et d'amplitude parlée à son chant que prévu pour ses quelques lignes. L'autre membre de l'Accademia Verdiana dans cette distribution, Galina Ovchinnikova est Sofia, mère chrétienne d'Oronte, qui disparaît presque aussi vite qu'elle est apparue. Son duo néanmoins important avec Oronte (le convaincant de se convertir au christianisme) lui permet de montrer justesse de jeu et de chant avec une clarté de récitatif.
Giulia Mazzola tient le rôle de Viclinda, trophée disputé entre Pagano et Arvino, disparaissant à l'issue du premier acte. Ce temps lui suffit néanmoins à marquer le contraste entre sa prière et l'affirmation de son caractère, avec une passion nourrie de style bel cantiste. L'interprète parvient même à juxtaposer avec agilité ces livraisons vocales très différentes : le doux legato du récit et la colère ardente en ensemble.
Retrouvez notre présentation de tous les personnages de cet opéra, en série de 10 Airs du Jour
Lidia Fridman offre à Giselda toutes les dimensions de son incarnation vocale, avec des piani comme s'avancant vers le néant, un registre supérieur chatoyant et des notes graves arrondies. Son jeu est également remarqué (même si elle pourrait améliorer son maniement de l'épée) sachant là aussi passer de la discrète prière aux longueurs de souffles interminables s'élevant dans le registre (quoique la tessiture soit un peu trop élevée pour elle, son fortissimo se faisant un peu dur).
Le Chœur du Teatro Regio (dirigé par Martino Faggiani) assume son rôle essentiel dans l'œuvre, sa place dramaturgique : celle des effets massifs délivrés avec clarté. Le chœur dansé de Harem "La bella straniera" à la fin de l'acte II, déploie l'élégance sobre de la chorégraphie signée Marco Berriel.
Francesco Lanzillotta dirige l'orchestre avec un grand sens des équilibres, des phrasés, du lyrisme et de ses ornements, pleinement dans l'esprit Verdien (a fortiori pour ce Festival consacré au compositeur, où les partitions sont issues des éditions critiques de son catalogue).
Le public prolonge la durée du spectacle par la longueur de ses applaudissements visiblement enchantés envers l'ensemble de la production, avec aussi des marques de reconnaissances particulièrement destinées au natif de la ville, Michele Pertusi.