Tango baroque : Monteverdi & Piazzolla au Festival Perelada
L’ensemble Cappella Mediterranea propose à nouveau ce mariage improbable de deux univers sonores éloignés de plusieurs siècles et par un océan : les musiques de Claudio Monteverdi et d’Astor Piazzolla. Le croisement des époques est aussi celui des instruments modernes et anciens, piano et clavecin, théorbe et guitare électrique. Les arrangements au bandonéon actualisent le madrigal, tandis qu'une viole de gambe épice la sensualité et la mélancolie du tango. La fraîcheur et l'originalité des chants monteverdiens accompagnés au piano allie création et recréation, actualisation à l'ère des interprétations historiquement informées.
Le programme est minutieusement construit autour des thèmes universels qui relient les deux genres, tels que l'amour, la guerre, l'abandon, pour se conclure avec la mort, tel un cycle de vie, interprété par deux voix et deux énergies (féminine et masculine), qui font l'essence du tango. Le concert s'ouvre sur le thème de la nuit, accompagné d'un éclairage bleu foncé qui met le public dans l'ambiance théâtrale. Les couleurs changent au fil du programme pour contextualiser le sujet et les artistes tentent de spatialiser le son en se mouvant parmi l'auditoire, mais les voix amplifiées ne changent pas de source d'émission et diminuent d'autant cet effort de dramatisation.
Après le couple Damrau-Testé qui s'est présenté la veille, c'est à une autre famille lyrique, sœur et frère : Mariana Flores (soprano) et Diego Valentin Flores (baryton) de partager le même plateau de l'église du Carmen au Château de Peralada. Spécialisée dans ces deux genres, Mariana Flores en tisse des liens en déployant l’expressivité affectueuse de sa voix, tantôt dramatique et ardente, tantôt plaintive. La ligne est très souple, acrobatique, mais finement posée et colorée dans les graves. La rythmique argentine est enjouée et pure, appuyée sur une projection rectiligne qui baigne de tendresse.
Diego Valentin Flores, dont la carrière est intrinsèquement liée à Piazzolla (il a fait ses débuts lyriques dans Maria de Buenos Aires), se montre ce soir pleinement investi dans son rôle qui approche le théâtre, l’opéra et le cabaret. La voix est chaleureuse et expressive, notamment dans le tango qu’il maîtrise musicalement à la perfection, avec la suavité du phrasé et la clarté de la prosodie (la prononciation étant irréprochable tant dans le parlé que dans le chanté). Ostensiblement moins convaincant (et de ce fait moins sollicité) pour Monteverdi, il engage tous ses moyens dans Piazzolla avec une projection poitrinée puissante et droite, parfois voilée par la masse orchestrale. L’amplification dissimule quelques limites de volume, notamment dans les cimes qui se heurtent à des difficultés d’intonation et d’émission.
Les musiciens de la Cappella Mediterranea sont menés par Leonardo García Alarcón à cheval entre le piano et le clavecin, proposant une direction discrète mais précise, ainsi qu’un accompagnement instrumental assuré. Le cœur battant de cette formation est assurément le bandonéoniste français William Sabatier, dont la musicalité délicate porte l’âme du tango. Les nuances succulentes sont adossées à un jeu rythmique précis et moteur, notamment lorsqu’il fait une soudaine irruption dramatique après les douces lamentations monteverdiennes. L’art de la violoniste Aurélie Gallois rajoute à la noblesse de cette soirée avec un jeu mélodieux et exquis, même dans les stridences occasionnelles.
La soirée se termine avec un bis argentin de Mariana Flores, qui émeut aux larmes tant les musiciens que le public qui applaudit les artistes pendant de longues minutes.