Tempête après la Tempête au Pays de la Meije
Le Festival au Pays de la Meije ne se contente pas de jouer l’œuvre d’Olivier Messiaen : un travail essentiel est effectué pour explorer son héritage, notamment à travers les créateurs qu’il a inspirés, et même désormais à une seconde génération de compositeurs, dont les maîtres ont été inspirés par Messiaen. Il en va ainsi de Michelle Agnes Magalhaes, compositrice brésilienne, qui présente la création d’Après la tempête, A Songbook for Shakespeare. Ce recueil de textes (en français) et de chants (en anglais) alterne airs originaux composés sur des textes extraits de la pièce de Shakespeare La Tempête, et des réécritures de mélodies préexistantes jouées jadis au cours de représentations shakespeariennes. L’intrigue ainsi cousue par l’historienne Aurélia Hetzel suit trois personnages : le rôle principal de la pièce, Miranda, ainsi que deux qui n’y sont qu’évoquées, Claribel (princesse dont le mariage justifie le voyage au cours duquel Alonso et Ferdinand font naufrage) et Sycorax (sorcière, mère de Caliban et qui emprisonne Ariel). Elles représentent ici trois facettes, voire trois âges, de la femme.
L’ensemble L’Itinéraire (dont le Festival célèbre les 50 ans durant cette édition) est spécialisé dans le répertoire contemporain : les sept musiciens qui officient pour cette création explorent pourtant des sonorités baroques pour les airs réécrits à partir du répertoire existant. Sont ainsi convoqués le théorbe de Gabrielle Rubio, mais aussi un traverso et un violon baroque. Les musiciens accompagnent non seulement le chant, mais également les textes, dans une sorte de continuo théâtral, modelant ou bruitant différentes ambiances : l’étrangeté de l’île ou la tempête sont exprimées à travers une grande diversité de moyens, d’instruments à percussion originaux comme le waterphone, ou bien des utilisations originales d’instruments classiques, comme l’archet qui est frotté sur la pique du violoncelle ou le hautbois joué sans hanche pour ne produire (avec une certaine virtuosité toutefois) que des souffles, parfois claquants. Malgré la double source d’inspiration et donc le double langage musical moderne et baroque, l’ensemble reste homogène dans sa composition, maniant alternativement l’émotion, la puissance et même l’humour.
La soprano Élise Chauvin dispose d’une voix au solide velours et au vibrato ample. Convaincue, elle livre une prestation très théâtrale, dansant presque pour exprimer corporellement les tensions qui traversent son personnage. Grace Durham, d’abord mal à l’aise dans la récitation de son texte d’ouverture, s’épanouit rapidement lorsque démarre le chant. La mezzo-soprano britannique au français aussi natif que son anglais (elle est d’ailleurs lauréate du Concours de mélodie française de Toulouse) dispose d’une voix charnue et capiteuse au medium riche.
Katalin Karolyi se déforme pour jouer la sorcière Sycorax, appuyant sur ses graves de pierre ou des aigus francs au vibrato plantureux. Ses phrasés sont courts. Elle explore toutes les possibilités de sa voix, du grincement au murmure en passant par des sons rauques, claquants ou chuintants. Même son fort accent participe à l’étrangeté du personnage dépeint.
Cette création remporte l’adhésion de la grosse centaine de spectateurs de la petite église de La Grave, qui peut aller se mettre à l’abri avant que ne survienne une autre tempête, bien réelle cette fois, des flots se déversant sur la station d’altitude dans un crépitement d’éclairs. Quant à elle, la compositrice prévient déjà que ce premier matériau est voué à évoluer au fur et à mesure de futures reprises. Jusqu’à une mutation vers un format opératique ?