Olivier Messiaen, une histoire familiale au Théâtre de l’Athénée
Pour cet hommage au Messiaen mélodiste, les deux interprètes présents ont choisi d’élargir la programmation à la mère du compositeur, la poétesse Cécile Sauvage ainsi qu’à la première épouse du compositeur, Claire Delbos. Cette dernière violoniste et compositrice, atteinte jeune encore par la maladie, n’a légué qu’un opus musical assez restreint auquel se rattache le cycle daté de 1937 L’Âme en bourgeon sur des poèmes de sa belle-mère Cécile Sauvage (au sujet de la naissance d'Olivier Messiaen). Cinq mélodies sur les huit existantes sont ici interprétées. Claire Delbos attendait alors la naissance de son seul fils, Pascal-Emmanuel. Ces mélodies (Dors, Je suis là, Te voila hors de l’alvéole, Te voilà, mon petit amant et Ai-je pu t’appeler de l’ombre) reflètent bien cette période à la fois souriante et déjà anxieuse. Elles révèlent par leur inspiration et une certaine forme de classicisme, le parcours de cette compositrice restée quelque peu dans l’ombre de son époux dont la carrière ne cesse alors de s’amplifier. En 1930 déjà, Olivier Messiaen utilisait des poèmes de sa mère et de lui-même pour les Trois Mélodies (Pourquoi, Le Sourire, La Fiancée perdue) qui annoncent d’ores et déjà les orientations esthétiques et les ambitions du compositeur.
Jenny Daviet interprète ici le second de trois grands cycles mélodiques ambitieux et particulièrement difficiles d’exécution composés par Messiaen : Poèmes pour Mi dédiés à Claire Delbos en 1937, Chants de Terre et de Ciel l’année suivante et Harawi dans l’immédiat après-guerre. Ces cycles furent tous créés par le compositeur lui-même au piano avec la grande soprano dramatique Marcelle Bunlet, amie du compositeur au souffle inépuisable comme le notait Messiaen lui-même. Jenny Daviet chante avec un aplomb remarquable et une réelle présence émotionnelle. Sa voix de soprano plus lyrique que dramatique sied parfaitement, avec ses envolées aisées vers l’aigu, une fraîcheur du timbre qui conserve comme une part d’innocence et un soutien affirmé. Elle franchit les écueils des phrases particulièrement longues avec franchise, que ce soit dans la difficile Danse du bébé pilule ou dans la dernière mélodie et ses Alléluias répétitifs (Résurrection / Pour le jour de Pâques) qui traduisent la profonde ferveur catholique du compositeur. Ce cycle daté de l’année 1938, peu de temps après la naissance de Pascal-Emmanuel, montre un père aimant et comme encore étourdi par cette révolution intervenue sans sa vie intime.
Deux mélodies rares de Claude Debussy issues du cycle Nuits Blanches (les autres morceaux constituant cet ensemble n’ont pas été retrouvés à ce jour) complètent ce beau programme qui en bis propose une mélodie souriante du jeune Gabriel Fauré (sa première, en hommage au centenaire du compositeur) sur un texte de Victor Hugo, Le Papillon et la Fleur.
Dépassant le cadre strict de l’accompagnement, Alphonse Cemin révèle toute la richesse de son toucher et sa maîtrise complète du piano dans ce répertoire porté par l’exigence. Ces éminentes qualités trouvent à pleinement s’exprimer par son interprétation virtuose mais aussi poétique de Feux d’artifice extrait du deuxième livre des Préludes de Claude Debussy.
Cette soirée mélodique est saluée avec enthousiasme par l’ensemble du public présent.