C’est un nom qui renvoie pour beaucoup à des souvenirs émerveillés, d’une Maréchale, d’une Rusalka, ou d’une Donna Anna : en atteste cette foule qui se presse, en ce soir de concert à Verbier, pour assister à un récital de gala. Car Renée Fleming est accompagnée par Evgeny Kissin, acolyte de luxe s’il en est, deux stellaires têtes d’affiche venues former un duo de chic et de choc appelé à servir un enivrant répertoire : des Lieder de Schubert, des romances de Rachmaninov et des mélodies de Duparc et Liszt. 

Dès les premières notes de Franz Schubert, le temps semble arrêter sa course folle : l'ode à la nature est servie par la voix de Renée Fleming à la présence toujours aussi solaire et au timbre d’une inaltérable pureté, avec une projection moins focalisée sur la quête absolue de sonorité que par le souci de donner son juste relief au vers et à la rime. Chez Liszt également, l’essence poétique et mélodique est lustrée dans un style narratif par une diction d’orfèvre et des traits d’affliction et de languissement au naturel désarmant. La brillance du timbre lie dans le phrasé délicatesse et expressivité.

Qu’il s’agisse d’accompagner la voix, en sachant jouer des justes nuances pour fusionner avec l’instrument vocal, ou bien de s’exprimer en soliste, Evgeny Kissin respire la musicalité et la sensibilité : par ces sonorités ensorcelantes et ces rythmes qui semblent indiquer comme un pas à suivre. Sur le chemin de l’évasion, ses mimiques si expressives, et ces manières de faire courir les doigts sur le clavier comme des enfants gambadant gaiement dans un jardin (ici sages, là plus bruyants, mais ayant toujours un but précis) allient fraîcheur du jeu et quête de couleurs infinies. 

Morgen (qui signifie Matin ou Demain) de Strauss conclut cette soirée dictée par le temps, qui passe, mais qui semble n’avoir guère de prise sur ces artistes, pour ce public les applaudissant debout, dans ce Verbier Festival désormais déjà tourné vers ses 30 ans en 2024.