Diana Damrau, Comtesse Capriccio aux Champs-Élysées
Diana Damrau a abordé, après les Quatre derniers Lieder du même Strauss, le rôle décisif de la Comtesse Madeleine dans l'opéra Capriccio en juillet 2022 à Munich. Elle s’éloigne ainsi à ce stade de sa carrière des rôles virtuoses et emblématiques qui firent sa réputation, pour aborder des personnages plus affermis musicalement. Sa voix demeure fondamentalement celle d’un soprano léger qui s’est ouvert à des couleurs désormais plus appuyées, plus variées dans leurs déclinaisons. La ligne de chant, loin de certaines approches volontairement aristocratiques, séduit par sa pureté et la netteté de son développement. De beaux pianissimi tout en élégance parcourent son chant qui traduit avec aisance toutes les facettes et les interrogations fondamentales émises par la Comtesse : Capriccio, testament lyrique en un acte de Richard Strauss créé en octobre 1942 à Munich et baptisé « conversation musicale », porte toujours aussi hautes les obsessions du compositeur sur les rapports intimes entre les mots et les notes (Prima le parole ? Prima la musica ?). Telle fut la quête perpétuelle de Richard Strauss que ce soit au travers de ses poèmes symphoniques comme Ainsi parlait Zarathoustra d’après Nietzsche ou de ses ouvrages lyriques composés sur les livrets de Hugo von Hofmannsthal, Stefan Zweig pour La Femme silencieuse ou Joseph Gregor. Dans Capriccio (texte coécrit avec Clemens Krauss), en cette fin du 18ème siècle près de Paris, la Comtesse Madeleine accueille justement en son salon deux prétendants (le compositeur Flamand et le poète Olivier) qui s’opposent sur les vertus respectives de leur art. Cette querelle s’envenime à l’évocation des ouvrages du réformateur Gluck ou à ceux se rattachant à la virtuosité italienne.
Last week's performance of the final scene from Richard Strauss' 'Capriccio' was an unforgettable experience. It's always an immense pleasure to perform with the talented musicians of @nationaldefce Thank you to everyone who joined us! Video courtesy of @joe_abh pic.twitter.com/O49VQ9VoEc
— Diana Damrau (@DianaDamrau) 4 avril 2023
Pourtant, la cantatrice Diana Damrau ne cherche pas à dresser un portrait trop intellectuel du personnage, mais plutôt à lui conférer une jeunesse expressive qui s’appuie sur un timbre clair et lumineux encore inaltéré. Dans un admirable monologue final, la Comtesse, personnage qui représente certainement la quintessence de la femme selon Strauss ce dans la pleine continuité de la Maréchale, s’interroge face à son miroir. Partagée dans ses sentiments, elle ne pourra décidément choisir. La projection vocale manque aussi ce soir un peu de rayonnement et le chef Cristian Măcelaru, tout en déployant un tapis orchestral majestueux sous son chant, veille à ne pas trop la couvrir.
Les thématiques de cette scène résonnent avec celles des deux autres pièces du concert, notamment l’introspection sombre voire tragique dans Le Tombeau resplendissant d’Olivier Messiaen, et la Symphonie n°6 dite "Pathétique" de Tchaïkovski, créée à quelques jours de la disparition du compositeur : son chant du cygne dont le fameux scherzo fascine par son éclat et sa dynamique presque forcenée, qui entraîne l’orchestre sur des territoires extrêmes et dans ses ultimes retranchements. Le dernier mouvement plus apaisé se veut comme un chant d’adieu au monde se concluant sur un choral de cuivres et l’intervention presque apaisante du violoncelle. Cristian Măcelaru en offre une vision vibrante et énergique, à la fois brillante et éplorée. L’Orchestre National de France le suit dans toutes ses intentions avec une forme de volupté musicale et dans la plénitude offerte par l’ensemble des pupitres (les cordes en premier lieu).
En bis, Diana Damrau, radieuse dans une robe ce couleur fuchsia, interprète le lied Morgen (Demain) toujours de Richard Strauss, ce en symbiose avec Luc Héry violon solo de l’orchestre. Son interprétation élégiaque s’inscrit comme dans une sorte de murmure délicat ou de rêve suspendu.
Le public du Théâtre des Champs-Elysées particulièrement séduit leur réserve une juste ovation.