Norma-Yoncheva, quand la Gaule passe Ellis Island
La production signée David McVicar en 2017 (ici reprise par Eric Sean Fogel) boucle la boucle de cet opéra en bi-pôle (deux actes, deux grands épisodes par acte). Ici tout commence et finit dans cette forêt mystique, dans la finesse des décors et des lumières qui travaillent le jeu des ombres et du soleil entre les branches. Comme souvent dans les productions du Met, la mise en scène ne se refuse pas quelques extravagances, en faisant venir sur scène des performeurs plus proches de Gladiator que d’une scène de forêt, mais avec un engagement crédible. Ces quelques moments plus fantaisistes apportent en effet un peu de fraîcheur dans un opéra exigeant vocalement et parfois un peu rude, notamment dans toutes les scènes centrales, dans la hutte de Norma – là encore, David McVicar propose un bel espace scénographique malgré la rigueur du livret, en insistant tout à la fois sur la forme du lieu, et ses dimensions plus mystiques (un “puits de lumière” permet de voir le ciel étoilé).
Maurizio Benini dirige ici la soirée avec une relative efficacité, mais en perdant souvent la puissance de l’orchestre par des choix un peu trop complexes, notamment dans l’ouverture en hachant la ligne mélodique pour accentuer les effets de surprise à travers des nuances parfois excessives. Cette baguette bien connue des lieux reçoit des applaudissements dès son arrivée en fosse, mais ses cordes restent souvent approximatives et quelques flottements rythmiques dans l’ensemble de l’orchestre trahissent pour eux aussi un égarement en forêt.
Norma, interprétée par Sonya Yoncheva, brille par une personnalité vocale intense dans une distribution pourtant fort homogène. La soprano assure en effet la puissance de toutes ses interventions, en travaillant avec un mélange de vibrato serré dans les suraigus, et de vibrato naturel plus ample, selon les intentions du personnage. Sonya Yoncheva, déjà vue en Fedora cette même saison in loco, s’affirme ainsi de nouveau en tragédienne lyrique. La chanteuse s’investit physiquement et vocalement dans un rôle intense, en y insufflant une pertinence psychologique, quitte à délaisser une certaine perfection technique. Les graves souffrent un peu de leur manque de justesse, quand les aigus sont toujours brillants et chauds. Mais l’apparition de Norma pour le « Casta Diva » s’impose comme le grand moment musical qu’il est, la maîtrise se déployant avec le prolongement volontaire de sa voix, ou jouant délicatement avec des descentes cristallines, dans un hors-temps musical et mystique (à l’image de son rôle de grande prêtresse).
L’autre grande voix féminine de la production est Adalgisa, interprétée par Ekaterina Gubanova. La mezzo-soprano est plus discrète dans son interprétation, mais montre cependant ses grandes qualités vocales. Sa prise de voix par au-dessus donne une rondeur à chacune de ses interventions, notamment par ses graves très chauds et amples. Les tenues permettent de donner la douceur de son personnage vocal, avec une subtilité appréciée notamment en duo.
Brittany Olivia Logan interprète une Clotilde timide, mais relativement efficace, avec grande justesse et dynamisme dans ses interventions. En se faisant davantage amie de Norma que nourrice des enfants, elle fait montre de résonnances graves qui s’associent harmonieusement avec sa prise de voix par au-dessus elle-aussi.
Les voix d’hommes se distinguent par des personnalités vocales plus tranchées. Christian van Horn impose son baryton-basse avec le rôle d’Oroveso. Il mêle des résonances caverneuses avec une voix forte en gorge, n’hésitant pas à laisser passer quelques résonances aiguës. Il assure sa présence scénique mais se décale parfois rythmiquement.
Michael Spyres en Pollione est un Romain plutôt timide sur scène, mais assurément pas dans la technique vocale. Le ténor déploie toute sa douceur de voix avec une puissance chaleureuse et de riches couleurs. Ses vocalises sont tenues et précises, et il mêle harmonieusement ses aigus à des inspirations naturelles, en préférant des attaques franches. Chacune de ses interventions apparaît ainsi comme un riche moment musical.
Flavio, interprété par Yongzhao Yu, est un adjuvant efficace. L’intervention du ténor est rapide mais la particularité vocale est néanmoins remarquée, entre intonations nasillardes et naturelles, dans quelques phrases puissantes.
Le chœur d’hommes exprime sa clarté dans la diction des basses, et des ténors très mélodieux, donnant une chaleur essentielle à la musicalité des scènes de forêt. Pour les voix de femmes du chœur, les altos montrent une rondeur dans chacune de leurs interventions. Les sopranos ont ici une place moins évidente, et perdent un peu en précision.
Les enfants, Adam et David Berman, assurent avec prestance leur rôle auprès de Norma, et apportent une légèreté bienvenue face au tragique et à l’intensité des scènes (le sourire vient aussi lorsque certains des accessoires – nombreux ! – chutent en coulisse ou roulent sur scène, rappelant aussi les petits bonheurs du spectacle vivant. La salle particulièrement emplie ce soir, d'une foule joyeuse et enthousiaste, salue les solos des chanteurs, et acclame la Gaule romaine de Norma.