Andreas Scholl à l’épreuve du temps Salle Gaveau
« Qu’est-ce que je suis content d’être ici ce soir ». Cette phrase prononcée en ouverture est tout à fait compréhensible, car rarement un concert aura semblé aussi personnel.
De par la nature de son programme d’abord, divisé en deux parties distinctes. La première est ainsi consacrée au Lied allemand et fait la part belle à Nauwach, Krieger (Adam et Johann Philipp), Hammerschmidt, Halperin, ainsi qu’à Händel avec Nel dolce tempo. Comme l’explique lui-même le chanteur tout sourire, il s’agit quasiment du même programme que celui de son tout premier récital, où, devant remplacer son professeur René Jacobs au pied levé, il chantera son programme de fin d’étude à la Schola Cantorum. La majorité des airs (recopiés à la main par René Jacobs lorsqu’il était son professeur et lui avait conseillé de s’orienter sur le Lied allemand plutôt que sur Purcell) qu'il n’a d’ailleurs pas rechantée depuis quasiment vingt ans.
La deuxième est, quant à elle, une déclaration d’amour et de gratitude. À Bach tout d’abord, « mon compositeur préféré » confesse-t-il, avec notamment Brunnquell aller Güter, son premier chant solo lorsqu’il était adolescent, alors accompagné par son père à l’orgue pendant une communion. Mais aussi Schlummert ein, ihr Matten Augen. À Händel ensuite, le compositeur grâce auquel il a eu le plus de succès, reconnaît-il provoquant à un rire de l’assistance, avec plusieurs arias. Tous à l’exception du dernier furent écrits par Händel pour Senesino, dont Scholl paraît vocalement très proche. Pas de tubes issus du Stabat Mater ou du Nisi Dominus de Vivaldi donc.

Le récital est également d’autant plus personnel que le contre-ténor est accompagné au clavecin et au piano par Tamar Halperin, dont il est l’époux. Ainsi, dès son entrée sur scène, avant toute musique ou prise de parole, la sérénité et le bonheur d’être là sont-ils manifestes. Point d’extravagance, mais un sourire illuminant son visage.
Il faut dire qu’après 30 ans de carrière, il a toujours vocalement de quoi être heureux. Le timbre est toujours aussi reconnaissable, rond et velouté, avec un caro (chair) exacerbé par rapport à d'autres collègues contre-ténors. Les voyelles sont claires, la prononciation impeccable quelle que soit la langue chantée (en l'occurrence ce soir-là, allemand, italien, hébreux et anglais), de même que la longueur de souffle. La technique agile permet d’aborder les quelques aspects vocalisant sans difficulté. Le passage de la voix de tête à la voix mixte, voire de poitrine est fluide et n’est trahi que par les variations de fréquence. La maîtrise de la projection selon l’instrument accompagnateur et dans les crescendi est également remarquée. Seul micro bémol, la rythmique des vocalises en fin de concert tend à légèrement dévisser à deux ou trois moments. Au fil des années, l’intensité dramatique progresse également et quel que soit le dialecte ou l’air, une intelligence textuelle permet de teinter chaque phrase des expressions faciales, des intonations et gestuelles adéquates.
Si le concert a été reporté une fois pour raison de santé, les deux époux sont toutefois encore sujets à une légère altération. En témoignent pour tous les deux quelques toux et raclements de gorge très discrets, toujours en amont ou en aval des morceaux pour elle et quelques fois entre les phrases musicales pour lui.
En accompagnatrice, Tamar Halperin est discrète mais irréprochable. Gardienne de la mise en place rythmique du chanteur, qui calque tous ses départs sur elle, elle s’exprime davantage dans ses soli. La Suite XVIII en sol mineur de Froberger lui permet ainsi d’offrir une Gigue souple et élégante, suivie d’une montée en puissance sur la Courante. Son accompagnement au piano se fait ensuite naturellement plus legato que celui au clavecin (et la Suite française n°3 de Bach, lui permet d’offrir une Allemande -également un nom de danse- intimiste, tout en maîtrise y compris des silences). Extrêmement concentrée, le corps ondule uniquement pendant les parties instrumentales du concert, et ses lèvres laissent par moments entrevoir qu'elle fredonne imperceptiblement la mélodie.
Ce sont finalement trois bis (deux en hébreux et un en anglais : O, Waly, Waly) qui viennent clôturer ce concert, entrecoupés de généreux applaudissements. Le public a manifestement été réceptif au bonheur communicatif d’Andreas Scholl d’être ici et s'est fort bien tenu à ce climat (en dehors de quelques prises de photos et vidéos pendant la soirée) : limitant les toux et éternuements à un minimum. Face à une offrande vocale aussi personnelle, le contraire eut toutefois été fort malvenu et c’est sous les bravi sonores que le couple s’en va finalement, radieux et discret, comme il est arrivé.