Michael Spyres et Lawrence Brownlee, deux joyeux complices au Théâtre des Champs-Élysées
Amici e Rivali (Amis et Rivaux) titre malicieusement le concert en duo de deux spécialistes du répertoire Rossinien, Lawrence Brownlee et Michael Spyres. Après les succès d’un premier concert dédié à Rossini en 2018 et la sortie en 2020 d’un album salué, les deux ténors poursuivent leur collaboration, enrichissant le programme d’airs de Mozart, Verdi, Bizet, Leoncavallo entre autres.
Rivaux, seuls les personnages qu’ils incarnent semblent l’être, comme Ricciardo et Agorante se disputant les faveurs de Zoraide (dans Ricciardo e Zoraide de Rossini) ou encore Roderigo et Otello (de Rossini également) pour l’amour de Desdemone. Pour ne pas devenir ennemis, les deux protagonistes des Pêcheurs de perles de Bizet font même serment de renoncer à leur amour pour la princesse Leïla. Cependant, même lorsque tout les sépare théâtralement, les liens d’amitié entre les deux chanteurs transparaissent. Ils partagent leur plaisir du jeu et s’amusent à se défier vocalement, ces joutes s’achevant immanquablement par une accolade et un éclat de rire.
Rivaux, les deux ténors pourraient l’être, appartenant à la même catégorie vocale. Cependant ils apparaissent davantage dans une complémentarité, leurs types de voix différant. Pourtant les deux artistes ont aisément formé ce programme, en s’appuyant sur la richesse des rôles de ce répertoire et leurs caractéristiques. Le ténor de Lawrence Brownlee est ainsi aigu et agile tandis que celui de Michael Spyres est plus sombre et barytonant (jusqu’à se qualifier de bariténor).
Lawrence Brownlee se met d’abord en voix avec Mozart et Mitridate, assurant ses différents registres dans les grands intervalles de l’air. La voix apparaît immédiatement dans sa splendeur, les aigus aisés, les graves dans une accroche résonante, le tout sur un phrasé souple. Avec Rossini, s’ajoutent les prouesses vocales, agilité dans tous les sens, suraigus insolents avec un ancrage immuable et une rondeur de son vibrante (jusque pour Guillaume Tell).
Michael Spyres, lui, se lance dans le concert sans ménagement avec l’air virtuose du Siroe de Gaetano Latilla (“Se il mio paterno amore”). La vaillance et le brio s’invitent immédiatement avec leur lot de notes piquées, de vocalises rapides et d’intervalles conséquents, sans crainte de prendre des risques avec la tessiture. Les risques, le ténor en prend également en interprétant des airs destinés à un autre gabarit vocal (comme “Di quelle pira” du ténor Manrico dans Le Trouvère de Verdi, ou Zurga des Pêcheurs de perles écrit pour un baryton). Si la largeur vocale nécessaire dans le premier et les graves sonores dans le second ne sont pas totalement assumés (les aigus pouvant apparaître tendus et les graves contenus), restent la hardiesse, l’énergie et l’intelligence musicale qui ravissent l’auditoire.
D’autant que Michael Spyres assume pleinement les aigus lorsqu’avec son comparse Lawrence Brownlee il offre un véritable festival de contre-uts (le contre-ut étant la note do aiguë, le chef d’orchestre participe avec humour à la bonne ambiance en s’excusant auprès du public d’avoir dû jouer une bonne partie du programme en do majeur : comme si le concert était cantonné à cette tonalité de base, ce qui n’est pas le cas). Les chanteurs se répartissent les interventions dans le fameux O sole mio de Di Capua et Marechiare de Tosti, se faisant des politesses, commentant la performance de l’autre, les prouesses vocales venant renforcer la bonne humeur.
Le chef David Stern, à la tête de son Orchestre Opera Fuoco, s’applique à galvaniser ses troupes dans les pages pétillantes de Rossini (parfois jusqu’à couvrir les chanteurs). La phalange, sur instruments d’époque, peine cependant à harmoniser ses timbres, la justesse pêchant parfois. Si les contrastes dans l’Ouverture de La Clémence de Titus de Mozart sont assumés et si la qualité des bois colore délicatement les parties chantantes, la virtuosité des pages rossiniennes pose quelques problèmes quant à la réussite des traits orchestraux.
Le chef d’orchestre David Stern participe également aux facéties dans les trois bis offerts au public déchainé. Il presse les chanteurs de se décider, à qui commencerait « La donna è mobile » (Rigoletto de Verdi) et donne même de la voix dans « Ah mes amis quel jour de fête » (l’air aux contre-uts de La Fille du Régiment de Donizetti) déclenchant les rires du public. Celui-ci termine la soirée debout ovationnant les artistes qui, avec grande générosité et sans se ménager, reprennent le redoutable duo d’Otello (de Rossini), Lawrence Brownlee ne pouvant plus débrancher les contre-uts et Michael Spyres s’essayant aux notes les plus graves possibles.