Drama Queens à l’Abbaye d’Ambronay
Barbara Strozzi, Francesca Caccini, Caterina Assandra, rayonnent dans l’abbaye d’Ambronay – le baroque est ce soir au féminin, ou presque. Sous la direction attentive de Christina Pluhar entrent également en scène les héroïnes de Maurizio Cazzati, Giovanni Legrenzi et Domenico Maria Melli, ainsi que des airs traditionnels napolitains et, pour la fin, mexicain. L’abbatiale est pleine à craquer alors que les artistes entrent sur scène, pour proposer des interprétations vivantes et colorées de ces œuvres.
Les musiciens de L’Arpeggiata, que coordonne Christina Pluhar depuis son théorbe, se fondent dès les premières notes dans ce répertoire baroque si familier à l’Ensemble. La musique vibre avec aisance et naturel. Les sonorités sont lumineuses, enjouées, la direction est ferme et nette, pour plus de nuances et d’éclat. S’y distinguent notamment, lors de l’improvisation sur Canario de Girolamo Kapsberger, les pizzicati teintés de jazz de la contrebasse et les envolées vivaces du tambourin.
Après une ouverture instrumentale par La Strozza de Maurizio Cazzati, Céline Scheen entre sur scène pour interpréter Barbara Strozzi – dont elle seule chantera les airs tout au long de la soirée. La voix porte avec puissance, poussée par une interprétation emportée, parfois exagérée, mais prenante. Son soprano, plein et mature, produit de beaux éclats soulignés par un timbre riche et engageant. Le chant, quelque peu pincé au début, prend force tout au long du concert et, prise par le plaisir de la musique, la soprano se laisse à peine troubler lorsque trois énormes coups retentissent contre le panneau de la porte du fond de l’abbatiale – une plaisanterie de quelques enfants.
Vient lui répondre le mezzo-soprano de Benedetta Mazzucato, ce soir en rouge de pied en cap. Son chant est plus doux et délicat, sans pour autant tomber dans la fragilité. Au contraire, la ligne est claire, portée par les nuances d’un timbre plutôt chaleureux, reprenant notamment avec une agréable fluidité le Lasciatemi qui solo de Francesca Caccini. Ses duos avec Céline Scheen sont marqués par une belle superposition des voix qui, similaires dans le timbre, entrent aisément en résonnance et ensemble.
Vincenzo Capezzuto occupe, quant à lui, le rôle comique de la soirée et se distingue par une interprétation haute en couleurs, ponctuée de mimes et pitreries accompagnant le chant de sa voix d'alto, notamment dans l’air traditionnel napolitain Lo Guarracino, qui lui permet de déployer toute sa théâtralité – cela d’autant plus que la voix est bien moins puissante que celle des deux cantatrices. Son atout est dans l’expressivité d’un timbre plutôt nasal, pincé, et d’un chant maniéré servant son côté buffa, entrainant les rires du public, qui lui réservera moult applaudissements à la fin du concert. Son interprétation de La Llorona en revanche, est moins convaincante, l’air se prêtant mieux à une voix plus profonde, avec plus de tragique. Mais de manière générale, la vitesse du débit et de la diction est ici parfaitement maîtrisée.
Les chanteurs se retrouvent en trio dans la Jácara : No hay que decirle el primor, qui clôt avec brio le programme, quoique les deux voix féminines surpassent celles de l’alto. Le bis reprend l’air traditionnel des Pouilles Pizzica di San Vito, chanté plus tôt, où s’engage avec vitalité Vincenzo Capezzuto, cette fois-ci rejoint en cours de route par Céline Scheen et Benedetta Mazzucato qui exécutent en riant une sorte de Macarena improvisée pour l’accompagner – et surtout, lunettes de soleil au nez et son cornet à bouquin tenu à l’envers, comme un micro, le cornettiste Doron Sherwin surgit de l’orchestre et rejoint les artistes sur scène un instant, faisant semblant de chanter. Enfin, après un tour sur lui-même, Vincenzo Capezzuto saute et les deux chanteuses le reçoivent dans leurs bras, tandis qu’un tonnerre d’applaudissements résonne dans toute l’abbatiale. Alors le concert s’achève et, le public quitte l’abbaye, fredonnant encore toutes ces joies musicales.