Le Trouvère de retour au Festival Verdi chez son scénographe
Une coutume des plus prestigieux (mais aussi de plus “modestes”) Festivals lyriques consiste aussi à faire vivre non seulement sa localité principale, mais également son entourage proche. En France, c'est une pratique bien établie et soigneusement entretenue (c’était encore très récemment le cas du Festival d'Aix-en-Provence délocalisant une production à Vitrolles, La Chaise-Dieu à Brioude et Saint-Paulien entre autres, Sablé-sur-Sarthe à Brûlon et Vion, ...). De l'autre côté des Alpes, le Festival parmesan dédié à Giuseppe Verdi cultive une tradition évidente de programmer un de ses spectacles dans une ville des alentours de Parme et notamment à Busseto (la bourgade natale du grand compositeur). Mais cette année, le publie est invité au Teatro Girolamo Magnani (du nom d’un scénographe de Verdi), sis dans sa ville natale de Fidenza. L’opus a été choisi comme une évidence : Le Trouvère de Verdi qui inaugura ce Théâtre en 1861 et qui revient à l'affiche du Festival (quatre années après la mémorable version en français signée Bob Wilson dans le mythique Théâtre Farnèse du XVIIe siècle, situé au cœur du Palais de la Pilotta).

La démarche d'Elisabetta Courir (dont la production fut dévoilée à Parme en 2016) est minimaliste, mais l’espace scénique réduit ici d’autant ses choix et son fil conducteur. D’autant plus que le plateau est plongé dans l'obscurité, comme le fond ténébreux de cette histoire sans dénouement heureux, n’offrant ici que peu d'éléments décoratifs hormis les tribunes dressées pour les choristes et avec quelques menus accessoires. Si cette approche privilégie l'intimité et la psyché des personnages, elle ne sert pas les scènes collectives et n’éclaire pas le propos. L'héroïne Léonore est ici doublée par une comédienne, doublure quelque peu abstraite et distrayante pour le spectateur, qui pourrait se lire comme un détachement de l'âme et du corps de ce personnage tragique. Son développement traverse les étapes suivant un code couleur vestimentaire : partant du noir, en passant par le blanc (de mariage) et en terminant par une écharpe écarlate qui présage son destin cruel. Les passages entre les scènes sont toutefois élégants et cohérents, en s'appuyant sur la polyvalence des choristes et danseurs uniformisés (tous en noir).

La véritable héroïne de la soirée est la chanteuse (de cette Léonore), Anna Pirozzi, cantatrice napolitaine que le public parisien a pu découvrir aux côtés de Placido Domingo à la Salle Gaveau et qu’il retrouvera également pour Le Trouvère à l’Opéra de Paris en janvier/février prochain et avant cela pour La Force du destin. Sa sonorité sombre et charnue se prête bien aux exigences dramatiques de son rôle, tout en restant malléable et vigoureuse dans les cimes. Si elle est doublée physiquement sur scène, sa doublure musicale (par un instrument de l'orchestre) est toujours parfaitement précise et à l’unisson. Elle arbore une large gamme de nuances, allant d'une suavité exquise jusqu'aux forte poitrinés qui dépassent largement la fosse.

Dans le rôle-titre, Angelo Villari est un représentant de l'école vocale nationale. Sa grande voix lyrique déploie puissamment ses couleurs belcantistes tant sur scène qu'en coulisses. La prosodie est impeccable avec une articulation bien nette et soucieuse de toutes les consonnes. L'appareil est étoffé et solidement élastique. Son expression arrive à son comble dans le sommet Di quella pira, bien qu'il mise un peu trop sur la force.

Simon Mechliński incarne Le Comte de Luna avec force et engagement. L'assise vocale est bien ferme et ample, le timbre lumineux mais rond dans sa qualité sonore. L'émission est bien dégagée et le phrasé italianisant, quoique moins élégant dans les airs plus lyriques. Les cabalettes (petites reprises ornées) rythmées lui conviennent solidement, à l'aide d'une technique bien soignée, même si la voix peine à rattraper le tempo fougueux dans la deuxième partie du spectacle.

L’Azucena de la mezzo-soprano albanaise Enkelejda Shkosa se distingue musicalement, quoique sa place dans la mise en scène ne soit pas aussi remarquable, malgré son jeu. La voix est claire et souple, avec un ambitus large et bien sonore, notamment dans les régions hautes de sa ligne. Elle fait preuve de dextérité vocale dans les tempi, tant impétueux que paisibles, mais la projection est perturbée par un vibrato démesuré qui s'intensifie avec la montée en vigueur.

Alessandro della Morte en Ferrando est une basse s'appuyant sur des graves solides mais faiblement étoffées. Son émission est moyennement vibrée et élastique, avec une expression manquant de finesse et de rondeur, parfois en décalage avec la baguette de chef. L'intonation est toutefois rigoureuse, la prononciation claire et la projection robuste.

Davide Tuscano chante Ruiz avec son ténor radieux et lyrique, résonant et vibrant, finement phrasé dans la manière bel canto.
Ines d'Ilaria Alida Quilico est une gouvernante bienveillante à la voix chaleureuse et lumineuse, précise et solidement projetée dans la salle, tandis que le Vieux Gitan du baryton chinois Chuanqi Xu est caractérisé par la netteté et la précision de son intonation et articulation.
Verdien avéré, le chef Sebastiano Rolli peine à trouver le bon équilibre entre l'orchestre et les choristes, souvent en décalage rythmique les uns avec les autres. Il reprend davantage le contrôle avec les solistes, atténuant la vitesse au gré de leurs sensibilités et capacités techniques. Le Chœur du Teatro Regio Di Parma est soyeux et angélique, les tutti chantent avec élan et en rythme, sans trop de force ni d’excès de délicatesse. L'Orchestre Filarmonica Arturo Toscanini est puissant, marquant, énergique, mené par les cordes (mais qui se dérèglent rythmiquement vers la fin de la soirée).

Le public admire et applaudit les artistes, contrairement à la metteuse en scène dont le travail est ostensiblement décrié.
