Leçons de Ténèbres et de Lumières au Potager du Roi (Versailles)
Ce soir encore, au Potager du Roi, Jean-Paul Scarpitta accueille ses invités (le Festival étant devenu cette année gratuit) avec sa savante élégance pour présenter un spectacle musical empreint de lumière et d'obscurité. Au milieu du silence des arbres et du public très attentif, quelques pépiements amicaux accompagnent ce soir les œuvres de Sébastien De Brossard (Élévation, Salve rex Christi, O Domine et Miserere) et de François Couperin (Leçon de Ténèbres du mercredy, du jeudy et du vendredy).
La soirée a été conçue par Camille Delaforge, Directrice de l'Ensemble Il Caravaggio, qui a voulu présenter ces puissantes pages spirituelles de la musique française du Roi comme pour son rituel cérémoniel de la Semaine Sainte. De nombreuses bougies allumées, afin d'élever au ciel le chant lié à la Passion du Christ, sont ainsi lentement éteintes une par une (plongeant dans l'obscurité de la Crucifixion).
Camille Delaforge dirige l'ensemble des musiciens avec une précision qui n'a nul besoin de se faire autre que discrète. L'élégance du jeu instrumental et la richesse des passions (déployées en intenses émotions transportant l'auditoire) sont le fruit de quelques regards et d'une grande complicité dans laquelle plongent pleinement les solistes.
La voix puissante du baryton-basse, Guilhem Worms, introduit le concert a cappella dans une impressionnante démonstration de force vocale mais aussi de magistral maniement technique. Bien que sa prononciation du texte latin soit un peu trop renforcée dans certaines consonnes qui rendent le son plus dur, le chant de ce jeune artiste est ductile et expressif, riche en harmoniques et bien soutenu par une tenue ferme du souffle, d'autant plus qu'il fait preuve de rigueur dans le phrasé musical et d'agilités dans les pièces d'ensemble.
La voix de la soprano Gwendoline Blondeel se distingue par sa sonorité claire et légère, qui élève la musique dramatique vers des sphères célestes mais en gardant l'intensité de son chant. Bien que son expression tragique ne transparaisse pas dans certains passages qui bénéficieraient d'un timbre plus sombre, l'habileté technique suffit de même à faire oublier certaines consonnes trop marquées du texte latin.
La mezzo-soprano Victoire Bunel n'impressionne pas tant le public par son timbre (qui peut sembler plutôt soprano, manquant de la couleur typique de mezzo surtout dans le registre inférieur), mais elle est plutôt appréciée pour sa précision rythmique et expressive dans les parties solistes et d'ensemble. Le registre aigu émerge en beauté de cette voix, qui base beaucoup de son chant sur la rigueur et moins sur la douceur de la prononciation, mais qu'elle sait sculpter avec élégance et raffinement.
Ce concert « Leçons et Élévations » se termine dans le crépuscule du soir, où aucune autre lumière que la dernière bougie n'éclaire la scène. Puis, avec le dernier son, cette ultime bougie s'éteint dans le silence du public, qui participe à la dramaturgie et prolonge ce moment en n'applaudissant pas (comme demandé au début du concert).
Après quelques instants, le moment est venu d'allumer les lumières de la scène, donnant enfin au public la possibilité d'exprimer son admiration envers les artistes.