Hamlet d'Ambroise Thomas en grande pompe Festivalière à Montpellier
L'adaptation du drame de Shakespeare par Ambroise Thomas, sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré, reste un opéra (trop) peu souvent représenté et lorsqu'il l'est (comme encore assez récemment par Stéphane Degout), il est incarné par un baryton. Pourtant, le rôle du prince du Danemark avait été conçu à l'origine pour une voix plus aiguë, celle de ténor (mais un interprète idoine faisant alors défaut, la création du rôle fut confiée au fameux baryton Jean-Baptiste Faure) : cette version Montpelliéraine a donc quelque chose d'inédit.
Le ténor américain John Osborn inaugure cette réédition en prêtant au héros shakespearien toute la richesse de sa palette vocale. Ce nouvel Hamlet fait sens : il apparaît comme un héros juvénile, amoureux tourmenté qui répond bien à la typologie de la voix de ténor, sans pour autant se résumer à cela. Osborn compose avec subtilité les multiples facettes du personnage, dont la partie chantée passe successivement par la peur, le recueillement, la fausse joie d'une chanson à boire ou le monologue métaphysique. Un rôle exigeant, et quelques signes de fatigue vocale se font entendre dans le dernier acte, mais la voix n'en demeure pas moins lumineusement timbrée dans le médium. Le chanteur alterne les aigus caressés à mi-voix ou projetés héroïquement. Enfin, il se montre attentif au texte dont ni le sens ni la prononciation ne semblent lui échapper (ni au public).
Cette production, captée pour une diffusion ultérieure sur France Musique, rassemble sur le plateau du Corum de Montpellier un effectif conséquent, réunissant l'Orchestre et le Chœur national Montpellier Occitanie avec le Chœur du Capitole de Toulouse, préparés par Noëlle Gény et Gabriel Bourgoin. Les voix s'unissent avec cohésion et clarté, dans un volume sonore impressionnant. La direction scrupuleuse de Michael Schønwand porte cet ensemble de phalanges vocales et instrumentales avec cohérence et intensité pour exprimer avec éloquence toute la tension dramatique et la poésie de cette œuvre, toujours aussi poignante que méconnue.
Dans le rôle d'Ophélie, la soprano colorature Jodie Devos livre une prestation très aboutie. Sa ligne vocale est conduite avec fluidité grâce à une grande tenue de souffle, les vocalises sont exécutées avec souplesse. Le timbre est éclatant, riche de couleurs dans le médium. Les aigus, accrochés avec facilité, semblent aspirés puis amplifiés sans forcer. Interprète sensible, elle captive son auditoire tout au long de l'acte IV dans une scène de folie poignante, et reçoit des applaudissements à tout rompre.
La mezzo-soprano Clémentine Margaine incarne la Reine Gertrude, mère d'Hamlet, rôle de tragédienne qu'elle s'approprie grâce à sa voix puissante, au grave charnu et à l'aigu vibrant. Sa tenue de souffle lui assure une belle longueur de phrasé. Pleine d'autorité, elle sait aussi se montrer implorante face à son fils. À ses côtés, le sombre Roi Claudius est campé par Julien Véronèse, basse à la voix pleine de noblesse, veloutée dans le grave et chaude dans le médium avec une brillance royale. Il montre en revanche moins d'aisance dans l'aigu, qui sonne un peu serré. Dans le rôle du roi défunt, la basse Jérôme Varnier impressionne par son volume sur les notes graves scandées d'une voix d'outre-tombe, caverneuse et viscérale.
Le Laërte de Philippe Talbot ne manque pas de prestance et d'énergie. Sa voix est élégante, lumineuse, émise avec facilité, mais il peine à se faire entendre par-dessus l'orchestre. Tomislav Lavoie et Rodolphe Briand incarnent respectivement Horatio et Marcellus, puis les fossoyeurs à l'acte V, le premier d'une voix de basse franche et gaillarde, le second d'une voix de ténor claire, bien projetée et bien articulée. Enfin, Geoffroy Buffière prête sa voix de baryton-basse sombre et persifleuse à Polonius, dans l'opéra complice du meurtre du roi.
À la fin du concert, le public est debout pour applaudir l'ensemble de la production. Un accueil particulièrement chaleureux honore la prise de rôle de John Osborn, sans oublier de bien saluer aussi la prestation de Jodie Devos et la direction d'orchestre.