Les Noces de Figaro à Clermont-Ferrand, l’union fait la farce
Déjà saluée cette saison pour Lucia di Lammermoor qui avait enthousiasmé le public du Clermont-Auvergne Opéra à l’automne dernier, la compagnie Opéra Nomade, qui a depuis longtemps tissé des liens étroits avec la capitale auvergnate, s‘installe à nouveau au pied des volcans pour y honorer Mozart. Et ce avec des Noces de Figaro qui viennent parachever un cycle da Ponte entamé il y a une dizaine d’années avec des productions de Cosi fan tutte et Don Giovanni.
Et puisqu’il est ici question de mariage, tout repose dans des procédés dont la troupe itinérante sait toujours tirer le meilleur des profits : simplicité matérielle, beauté des costumes, et mouvement permanent sur une scène où jamais l’inertie ne s’installe. De fait, hormis un lit et quelques fauteuils servant à figurer une chambre ou un salon (ainsi qu’une petite guillotine où l’on coupe la tête des infidèles), seuls des éléments de cloison viennent occuper la scène. Ce décor signé Frank Aracil est amovible, avec ses finitions en forme de vaguelettes et son apparence de faux marbre, comme pour donner au lieu une magnificence dont la dimension, à l’exception de quelques jolis lustres au cristal scintillant, n’est pas poussée davantage. En découle une scène épurée offrant tout l’espace nécessaire aux déplacements effrénés des personnages et donnant l’occasion aux magnifiques lumières de Véronique Marsy, dominées par l’orange et le bleu indigo, de briller d’un éclat radieux et uniforme. Un bleu qui domine aussi dans les costumes de Véronique Henriot, fidèles à l’époque de la création de l’opéra, avec des jabots, robes à fleurs et bas de soie du plus bel effet esthétique. Aux pieds de Figaro et Chérubin se trouvent en revanche des baskets à la mode d’aujourd’hui, ce qui prête bien davantage à rire qu’à créer quelque incohérence temporelle dans cette mise en scène de Pierre Thirion-Vallet qui fait la part belle à la dimension théâtrale de l’œuvre, en laissant le champ libre aux courses, galipettes et autres gesticulations aux traits si forcés qu’elles n’en sont que plus risibles.

Le rôle de Figaro est porté par Florian Bisbrouck, énergiquement investi dans l’incarnation du valet amoureux et jaloux prenant un malin plaisir à tirer les ficelles de l’intrigue. Ample, expressive et bien projetée, la voix est riche d’une palette de couleurs permettant tant de décrire la passion amoureuse que l’ironie et la colère, comme dans “Se vuol ballare” aux “-r” généreusement roulés et aux accents fort toniques venir pleinement servir la teneur déterminée du propos. Alban Legos est un Comte appliqué, porté moins par la froideur d’une jalousie excessive que par une forme de tourment intérieur. La voix de baryton est emplie d’une certaine noblesse dans l’émission, avec une sonorité homogène sur toute l’amplitude. “Vedro mentr'io sospiro” donne lieu à un touchant moment qui inspire moins l’effroi qu’une certaine pitié pour cet homme dépassé par les événements autant que par ses propres errements. Eugenio Di Lieto se régale à camper Bartolo, un peu bouffon et franchement comique, n’ayant de grave qu’une voix bien creusée et de belle rondeur. Le jeune ténor Marco Angioloni porte les rôles de Basilio et Curzio avec une même exubérance gestuelle et une voix bien audible sur toute l’amplitude bien qu’ayant tendance à se resserrer dans l‘aigu.

De l’émotion dans un tourbillon de folie amoureuse
La Susanna de Jeanne Mendoche, amusante et surtout touchante, est pleine d’une fraîcheur et d’une authenticité qui captive et séduit d’emblée. La voix est d’une sonorité fleurie, le timbre net et la ligne de chant guidée par un souci permanent de la couleur et de la sensibilité. Au cœur d’un tourbillon de folie et de drôlerie, le “Deh vieni non tardar” est un grand moment de tendresse, à l’image du “L’ho perduta” de Barberina à qui Laura Baudelet prête avec bonheur sa voix assurée au charmant timbre. Erminie Blondel, jeune étoile à la trajectoire définitivement montante, donne à la Comtesse son jeu allant de l’enjouement à l’apitoiement, dessinant la trajectoire de la femme résignée à composer avec un mari volage. Sa voix est sonore et vibrée, sa ligne de chant homogène et d'une aisance affirmée dans l’aigu. Le rôle de Chérubin revient à la mezzo Anne-Lise Polchlopek, qui donne ici à son personnage travesti une allure moins candide qu’intensément exaltée par la passion amoureuse. La voix est ample, a de chaudes couleurs et une belle rondeur, son emploi trouvant son acmé dans le fameux “Voi che sapete”. Magali Paliès en Marcellina est loin de faire de la figuration, avec sa perruque aux cheveux hérissés, et une voix sonore émise avec panache. Enfin, le metteur en scène et directeur de la maison locale Pierre Thirion-Vallet s’offre le plaisir de paraître sur scène et d’en revenir à son statut de chanteur lyrique en campant un Antonio boiteux, ivre et pétulant, aux mimiques drôlatiques et à la voix râblée.

Dans un spectacle où les ensembles vocaux sont de grande tenue, en tête desquels le fameux septuor de l’acte II, l’Orchestre des Métamorphoses se marie au plateau vocal, n’étant jamais effacé ni écrasant. Le rythme est vif dès l’ouverture, les pupitres équilibrés et les couleurs variées pour dépeindre la palette d’émotions venant traverser le plateau entre amour, colère et pardon. Le chef Amaury du Closel dirige le tout d’une baguette aux indications aussi rapides que précises dirigées tant vers les instrumentistes que vers le plateau vocal. Quant au chœur, composé de six chanteurs, il s’acquitte de sa mission sans fausse note pour finir, comme tout le monde, par faire la noce dans une joyeuse atmosphère venant déteindre jusqu’à un public qui applaudit chaleureusement ce spectacle où union des voix, des cœurs et des talents font ici la force autant que la farce.