Monsieur Choufleuri reste chez lui et Saint-Etienne en rit
Ils ont droit à leurs trois rappels, eux aussi. Une ovation méritée, tant la performance livrée par les artistes de la troupe des Zolibrius sur la scène stéphanoise de la Salle Copeau (non loin de l'opéra où est donné Madame Butterfly), est pleine d’un entrain et d’une drôlerie propres à donner des crampes aux zygomatiques. Monsieur Choufleuri “n’aime pas l’opéra”, comme il se fait fort de le chanter, mais il veut tout de même convier chez lui, pour faire riche et cultivé, “ce que Paris compte de plus grands artistes lyriques”. Alors il y déploie tous les moyens possibles, et convie le grand ténor Rubini, l’illustre baryton Tamburini, et la grande soprano Henriette Sontag (artistes ayant réellement existé, et bénéficiant d’une belle popularité à l’époque de la création de l’opéra, au début des années 1860). Mais rien ne se passe évidemment comme prévu, le prestigieux trio déclare forfait au dernier moment, et le récital de bel canto devient un disastro dont le comique est ici pleinement restitué par une joyeuse troupe désormais bien rodée en termes de spectacles théâtro-lyriques. Outre des comédies musicales, d’autres opérettes figurent déjà à la liste des spectacles qu’ont pu donner ces comédiens-chanteurs à travers l’hexagone, telles Coscoletto où L'Île de Tulipatan (et ce Monsieur Choufleuri a décroché un Prix du public au Festival Off d'Avignon en 2016).
Le spectacle est rythmé de bout en bout, riche en rebondissements qui se sentent venir à des kilomètres mais qui font rire aux éclats, malgré tout. La mise en scène pilotée par Guillaume Nozach repose sur un canapé et un petit décor amovible (qui fait office de mur au papier peint vintage sur une face, et de petit espace de toilette sur l’autre). Qu’importe, tant tout réside ici sur le dynamisme et l’enjouement des comédiens, lesquels nourrissent de leurs mouvements toujours plus exagérés, et de leurs mimiques toujours plus farceuses, l’œil grandissant d’un cyclone de drôlerie qui emporte tout sur son passage : les envies de briller de Monsieur Choufleuri, la tenue d’un concert dont parlerait le tout-Paris, et même l’impossibilité du mariage entre Ernestine, fille de Choufleuri, et son amoureux Babylas. Car tout se passe mal mais tout finit bien, et Choufleuri, qui se prend pour Rigoletto quand il est bien plus proche d’un Bartolo déjanté (il en vient à crier à la “maledizione!” lorsqu’il apprend la défection de ses trois prestigieux hôtes) accepte finalement que sa fille épouse celui qu’il considérait bien mal car il était musicien, mais qui finit par lui sauver la mise et la face... précisément parce qu’il est musicien.
Tous au diapason d’une même drôlerie
Dans ce rôle-titre, précisément, Nicolas Bercet se montre fort à son aise. La voix du baryton est aussi claire qu’expressive et, dans un costume d’un rouge un peu grotesque, son incarnation du bourgeois faussement amoureux d’art lyrique est toujours plus nourrie en cocasserie et en burlesque à mesure qu'il se trouve dépassé par les événements. Sa fille Ernestine est campée par Laetitia Ayrès dont la flamme de folie est tout aussi vive, agrémentée ici d’une fraîche touche de candeur. De sa petite voix de soprano fleurie aux jolis aigus, la chanteuse-comédienne s’en donne à cœur joie lorsqu’elle chante son fameux air, “Pasta Carbonara”, sommet bien trop méconnu du bel canto (allusion à la Diva Giuditta Pasta). Dans le rôle de son amoureux, le fameux Chrysodule Babylas, Georges Demory se montre bon chanteur, avec une voix assurée en émission, mais surtout excellent homme de théâtre : son jeu est dynamique, la vis comica tourne à plein régime, et l’artiste ose même un petit concert de “air guitar” propre à impressionner les spécialistes du genre.
Le Petermann d’Alexis Meriaux s’inscrit dans la tendance générale : drôle et joyeux, le jeune et fougueux artiste prête à son personnage les traits d’un De Funès au grossier accent belge, qui use d’un flamand non moins caricatural pour faire croire qu’il maîtrise l’anglais. Avec un chant sonore émis sur une belle amplitude de tessiture, le ténor-comédien ne fait l’économie d’aucun effort gestuel et d’aucun bon mot pour faire rire l’assistance (avec succès), interprétant un domestique si gaffeur et paresseux qu’il en devient, au bout du compte, fort attachant.
Enfin, en couple façon Deschiens, Hervé Roibin et Dorothée Thivet sont des Balandard au diapason de l’ambiance déjantée régnant sur scène, avec leurs voix joliment chantantes, la soprano se distinguant en outre par une rondeur de timbre. Ces deux-là s’aiment d’un amour vache, veulent pouvoir “s’ennuyer ensemble” mais montrent par de désopilantes mimiques de joie et d’émotion qu’ils passent au fond une belle soirée lorsqu’ils assistent à ce récital lyrique qui tourne pourtant au joli fiasco.
Mais de fiasco, il n’en est en revanche pas question pour cette représentation stéphanoise qui remporte un vif succès auprès d’un public ravi d’avoir ainsi ri pendant près d’une heure, ce qui vaut aussi pour les nombreux enfants présents dans la salle. Une performance qui doit également beaucoup à la violoncelliste Maëlise Parisot et à la pianiste Jeyran Ghiaee, deux instrumentistes assurant la partie musicale en sachant, par leurs jeux variés en couleurs et en nuances, comme faisant parler leurs instruments, se mettre au niveau de la drôlerie générale.