Atipik et sidérants théâtres imaginaires au Festival d’Ambronay
Après avoir suscité des rencontres insolites entre Musiques du monde, Hip-hop, Jazz et Baroque, le Festival d’Ambronay invite aujourd’hui à découvrir un univers électro-baroque avec la Compagnie Rassegna. Sous la direction artistique du guitariste Bruno Allary, le public est emporté dans une aventure inouïe sous forme d’un opéra imaginaire « Qui-vive ! » en trois actes : "Théâtre de l’amour", "Théâtre de la folie" et "Théâtre de la mort". Sont ainsi réinterprétées une douzaine d’œuvres de compositeurs du XVIIe siècle, réunis dans ces trois thèmes récurrents en cette période. En prologue, interludes et épilogue, des compositions et improvisations contemporaines font office de respirations.
À l’écoute de ces rythmes et sonorités électroniques, des échantillons morcelés produits sur un pad et des scratchs aux platines, les festivaliers d’Ambronay sont sans doute entraînés dans une aventure inhabituelle, dans un univers qui leur est tout de même assez éloigné (déjà qu'écouter une telle musique en étant confortablement et sagement assis est en soi un décalage). Pourtant, plusieurs spectateurs semblent se retenir de danser, à l’image des musiciens qui se laissent aller sous la lumière du stroboscope dans l’interlude Epic First signé L.Atipik, la « platineuse artistique ». Outre l’électronique, les guitares basse ou folk ajoutent à certaines œuvres un côté très rock. C’est ainsi que se manifeste un point commun particulièrement important, autant dans ces musiques dites "actuelles" que dans la musique baroque : la circularité, la grille redondante d’accords qui est le propre même de l’ostinato et de la basse obstinée.
Si les accompagnements sont bien différents des habitudes, les mélodies sont le plus souvent assez fidèles aux versions originales des morceaux, avant d’être rapidement transformées, notamment par l’improvisation. La polyvalence des musiciens est également une grande force de ce spectacle mis en espace par Jean-Michel Vives, en collaboration avec le créateur lumière Drichos, l'ingénieur du son Romain Pérez et le chorégraphe Nacim Battou. La jeune Clémence Niclas se montre aussi agile aux flûtes -dont une intrigante flûte à bec contrebasse Paetzold- qu’à la voix de mezzo-soprano, empreinte d’une certaine fraîcheur. Elle fait notamment entendre un actif et rythmé Zefiro torna d’après Claudio Monteverdi mais c’est surtout dans son interprétation de la lamentation de Didon, d’après Didon et Énée de Purcell, qu'elle déploie une voix à la touchante lumière. Sa tendresse s'exprime ensuite dans Che si può fare d’après Barbara Strozzi, et son charme dans Le sort me fait souffrir d’après Etienne Moulinié. La chanteuse mezzo et percussionniste Carina Salvado est davantage portée sur les chants aux aspects plus traditionnels, comme Augellin d’après Stefano Landi, faisant néanmoins preuve de beaux phrasés grâce à une technique de souffle maîtrisée. Nolwenn Le Guern se montre aussi à l’aise à la guitare basse qu’à la viole de gambe, faisant entendre de belles improvisations, notamment dans d’intenses aigus sur l’air de Barbara Strozzi. Bruno Allary fait également entendre brièvement sa voix, qui possède un léger grain toujours apprécié dans la variété et le rock, avec Se l’aura spira d’après Girolamo Frescobaldi.
Le public se montre visiblement convaincu par cette proposition en dehors des sentiers battus, qui a le grand mérite de proposer sans provoquer, une passerelle inouïe entre les musiques.
