Douce querelle divine à Mars en Baroque
Pandémie oblige, le Festival phocéen Mars en Baroque a dû se tenir cette année en juin et en juillet. Comme lors de l’édition précédente, un opéra en version concertante vient conclure la programmation. En 2020, c’était le rare Admeto, re di Tessaglia de Haendel (notre compte-rendu), cette année, place au rarissime La Contesa de’ Numi (La Querelle des Dieux) d’Antonio Caldara, prolifique compositeur italien du XVIIIe siècle et auteur de 87 opéras.
Il fallait venir tôt et avoir de la mémoire pour suivre l’intrigue de cette Querelle des Dieux, car si le livret est distribué aux spectateurs avant le début de la représentation, l’absence totale de surtitrage et l’obscurité impénétrable du Théâtre de la Criée empêchent de suivre le fil du récit. Un procédé qui serait déjà contestable sur les pages célébrissimes d’une Carmen, mais qui peine à se justifier sur une œuvre en italien aussi confidentielle. Alors, certes, le livret tient plus du prétexte et consiste en une succession de récitations de leurs CV par les dieux de l’Olympe : les uns après les autres, les protagonistes rivalisent de leurs attributs pour accorder leurs bienfaits à Charles VI, empereur dont le couronnement fut à l’origine de l’écriture de l’opéra. Mais tout de même, savoir quel chanteur incarne quel dieu, pourquoi ces gens se « disputent » et quelles émotions sont invoquées humaniserait les arias de chacun. Le spectateur, en l’absence totale d’indice, ne peut que se détacher de la trame et écouter l’œuvre air après air comme s’il s’agissait d’un oratorio.
Le claveciniste et Directeur du Festival Jean-Marc Aymes est à la tête de l’orchestre baroque du Concerto Soave : face à ses musiciens, il se montre très à l’écoute des différents pupitres et des chanteurs. Les instrumentistes savent porter les nuances de la partition de Caldara par leur complice osmose : loin d’être répétitive, cette musique offre quelques surprises comme cette belle incursion des violoncelles dans l’aigu, ou les plus acrobatiques solos de trompette baroque dans le finale.
Comme sur l’Admeto re di Tessaglia de la précédente édition, le Concerto Soave s’est associé au centre d’art vocal de Namur (l’opéra y sera d’ailleurs redonné le 9 juillet), et le spectateur retrouve dans les différents rôles la même distribution franco-belge que l’an dernier. Hercule chez Haendel, le baryton Samuel Namotte reste dans le registre belliqueux sous les habits de Mars. Le rôle est exigeant, en particulier le premier air, et si la voix est claire et impétueuse, la longueur de souffle et la puissance vocale ne sont pas forcément celles attendues d’un Dieu de la guerre. L’ambitus requis par le rôle est considérable et pousse Samuel Namotte à effleurer dans certains graves la limite de sa tessiture.
Morgane Heyse confirme dans le rôle de Pallas les belles promesses entrevues l’an dernier : sa projection est assurée, la voix claire et pure, le timbre éclatant et dénué d’effets superflus, la diction impeccable. Le rôle pour castrat d’Apollon est tenu par la soprano Julie Vercauteren : sa voix agile et enjouée fait merveille sur des airs solaires et des récitatifs non moins incisifs. Dans la plus pure tradition baroque, les reprises des arias font l’objet d’ornementations, toujours à propos et pleines de musicalité.
Si la Junon de Caroline de Mahieu fait preuve de moins de fantaisie et de variations, sa projection ne manque pas d’aplomb. La mezzo belge fait entendre des graves généreux mais les legati sacrifient parfois leur souplesse à la rigueur rythmique. Le duo contrapuntique avec Jupiter, rare moment de polyphonie dans cette partition faisant la part belle aux alternances arias/récitatifs, est l’occasion d’une réjouissante rencontre de timbres, et assurément l’un des plus beaux moments de la soirée.
Enfin, la jeunesse du contre-ténor Rémy Bres-Feuillet ne l’empêche aucunement d’embrasser avec succès le rôle du médiateur Jupiter, personnification de l’Empereur. Loin du timbre cristallin sans aspérité parfois associé au registre, le chanteur fait montre de nombreuses nuances subtiles, sachant ajouter profondeur ou sombre caractère avec musicalité. La projection est aussi impériale que le rôle l’exige, les aigus sont faciles, les graves pénétrants sans avoir à repasser en voix de poitrine. Preuve qu’aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années.