Orfeo superlatif à l’Arsenal de Metz
Cette version concertante offre toutefois sa part de mise en scène. L’une des portes en arrière-scène (celle des Enfers ?) s’ouvre, laissant entrer une violoniste, s’échapper l’écho de la voix d’Orphée, et la Musique incarnée par Emöke Baráth déambule parmi les instrumentistes comme si elle les assurait de sa bienveillance. Implorant, l’Orphée d’Emiliano Gonzalez Toro tombe à genoux, et se retourne bien évidemment au moment fatidique, même si son Eurydice, interprétée elle aussi par Emöke Baráth, se tient à bonne distance derrière lui, situation sanitaire oblige.

Si Fulvio Bettini en Apollon ne descend pas d’un nuage en chantant, il semble toutefois que les dieux de l’Olympe aient donné leur bénédiction à l’ensemble du plateau.
L’ensemble I Gemelli offre un prologue lumineux dont les cuivres rehaussent la noblesse. Les flûtes sont sylvestres à souhait, participant de l’atmosphère pastorale, et si un léger décalage se fait sentir, les violons ne s’envolent pas moins en volutes de cordes répondant à Orphée arrivé devant la porte des Enfers. Onirique, la harpe charme l’auditoire comme la lyre d’Orphée. La basse continue des cordes pincées ou frottées est un écrin aux bouleversements de chaque personnage, apportant toutes les couleurs et les nuances requises pour rendre la singularité de cette œuvre.
Même soin des nuances pour le plateau vocal. Dans le rôle-titre, Emiliano Gonzalez Toro remporte un triomphe auprès du public. Exultant, sa félicité assurée, Orphée s’effondre, fou de douleur, avant la résolution finale douce-amère proposée par le livret d’Alessandro Striggio, celle d’une montée vers l’Olympe au lieu de la mort du personnage mythologique. Tout concorde, dans le timbre multiple du ténor, à assurer une incarnation convaincue et complète. Chaleureux sur « Rosa del Ciel », les aigus tout en rondeur, un simple Ohimè (« Hélas ») d’une grande douceur et douleur suffit à véhiculer le désespoir et la sidération à l’annonce de la mort d’Eurydice. Vindicatif et furieux, les graves plongent remarquablement pour une telle tessiture, mettant intelligemment cette gravité sur les « abîmes ». Ployant sous la douleur, les mediums grondant de fureur, à genoux, portée et diction restent superlatives, les mélismes s’enchaînent jusqu’à justement trembler sous l’effet de l’imploration.
Emöke Baráth remporte elle aussi tous les suffrages. En Euterpe, la soprano teinte d’emblée ses aigus d’une couleur dorée et somptueuse. Certains mediums, quasi soufflés, auréolent d’un nimbe mystérieux la Muse, qui « enchante », comme indiqué par le livret, « l’oreille des mortels ». En Eurydice, la soprano conserve la même technicité, clarté de diction, portée optimale, sur un timbre cette fois plus doux, offrant à ses piani la douceur requise, preuve s’il en est de sa capacité d’adaptation au personnage.

Autre rôle double, la mezzo-soprano Alix Le Saux insuffle à La Speranza (L’Espérance) un timbre consolateur, et fait montre d’une amplitude et d’une portée adéquate dans les chœurs de bergers. Autre mezzo-soprano, Natalie Perez est une Messagère remarquée pour la stabilité de ses mediums et de ses aigus, charnus et lumineux, déployés dans une diction adéquate. Maud Gnidzaz offre à sa nymphe les aigus clairs de son timbre de soprano, des trilles souples et conserve un timbre net malgré la contrainte des nombreux changements rythmiques. Mathilde Étienne incarne une Proserpine touchante, implorant son austère mari dans des aigus tout en rondeurs et pureté.
Pluton cède à sa supplique, dans des mediums consistants et des graves qui, paradoxalement, parviennent à être quasi chaleureux, la basse Nicolas Brooymans s’alignant ainsi sur le texte. À l’inverse, l’austère Charon de Jérôme Varnier garde jalousement le Styx. Les graves, menaçants à souhait et longuement tenus, glacent d’effroi mais subjuguent par leur profondeur légitime.

Les ténors Juan Sancho et Zachary Wilder, bergers convaincus dans leurs chœurs, coffre puissant et diction modèle, montent en puissance sur leurs parties solistes au fur et à mesure de leurs incarnations. Enfin, le baryton Fulvio Bettini est un Apollon à la fois puissant et enveloppant à la belle amplitude. À l’unisson d’Emiliano Gonzalez Toro, Apollon et Orphée méritent leur place à l’Olympe. Elle leur est déjà réservée, ainsi que pour l’ensemble du plateau, par le public de la Grande Salle dont la divine acoustique fait résonner les bravi et les longs applaudissements.
