Marie-Laure Garnier invite le Cabaret au Musée d’Orsay
Très fidèles au Musée d’Orsay dans le cadre notamment de l’Académie Orsay-Royaumont dédiée à la mélodie et au Lied, les deux artistes investissent pour ce récital la musique du XXème siècle influencée par le jazz, le cabaret, le ragtime et le music-hall. Le compositeur et pianiste américain William Bolcom, né en 1938, élève de Darius Milhaud, Olivier Messiaen et Jean Rivier notamment, Prix Pulitzer en 1988, répond à tous ces critères. Encore trop peu connu en France, il propose un large catalogue très diversifié dont une part consacrée à la mélodie. À son actif, par ailleurs, un opéra particulièrement bien reçu lors de sa création en 1999 à l’Opéra de Chicago, puis lors de sa reprise au Met de New York en 2002, A View from the Bridge (Vu du pont) d’après la célèbre pièce d’Arthur Miller avec Catherine Malfitano dans le rôle de Beatrice, artiste actuellement en représentation à l’Opéra de Lyon pour Tosca.
Les mélodies Toothbrush Time (l’heure du brossage de dent), Waitin (Attendu), Amor et Song de Black Max, toutes très rythmées et marquées viscéralement par la musique américaine de son temps, permettent à Marie-Laure Garnier d’exposer des moyens vocaux de grand lyrique imposants où un grave mirifique répond à un timbre particulièrement prenant. Pour animer le récital, elle fait appel au metteur en scène Alexandre Ethève, originaire comme elle de l’île de la Réunion. Par une adroite mise en espace qui sollicite la cantatrice à chaque instant du plateau à la salle, Alexandre Ethève permet à Marie-Laure Garnier d’oser un certain dépassement du strict cadre vocal. Faussement ivre ou suppliante, couchée de tout son long ou le visage revêtu d’une voile de deuil (La Dame de Monte-Carlo de Francis Poulenc), elle révèle un furieux tempérament et une présence scénique saisissante, ce sans jamais oublier de donner la priorité à ce qu’elle chante. Avec Kurt Weill et son savoureux tango Youkali ou la chanson berlinoise Je ne t’aime pas immortalisée au disque par Lys Gauty -une des vedettes majeures de la chanson française dite réaliste des années 30/40-, Marie-Laure Garnier séduit le public par ses affinités affirmées à ce style bien particulier.
Deux extraits des 12 Lieder op. 27 d’Alexander von Zemlinsky, Elend (Blues) et Afrikanischer Tanz (Danse africaine), viennent conforter cette approche tout comme le fameux Summertime tiré du Porgy and Bess de Gershwin. À une première strophe toute de gravité et aux couleurs profondes, répond une seconde strophe aiguë au terme d’un saut d’octave parfaitement maîtrisé. Francis Poulenc se devait de représenter dans ce cadre la musique française. Marie-Laure Garnier y excelle et sa diction permet de ne rien perdre de l’importance du texte. Deux extraits des Banalités -Hôtel, Voyage à Paris-, le bouleversant monologue La Dame de Monte-Carlo sur un texte de Jean Cocteau, ou Les Chemins de l’amour sur lesquels l’esprit si parisien d’Yvonne Printemps semblent planer, ravissent constamment l’esprit et l’oreille par la fidélité de l’approche et la sensibilité.
Au piano, Célia Oneto Bensaid s’affirme bien plus qu’en accompagnatrice attentive et zélée tant les mêmes affinités artistiques les lient. Ce récital ouvre l'année musicale 2020 du Musée d’Orsay. Il sera possible de retrouver Marie-Laure Garnier à la scène dans le rôle de Junon du Platée de Jean-Philippe Rameau, au Théâtre du Capitole de Toulouse déjà en mars/avril prochain (réservations), puis à l’Opéra Royal de Versailles en juin sous la baguette d’Hervé Niquet à la tête du Concert Spirituel, Gilles et Corinne Benizio (Shirley et Dino) assurant la mise en scène du spectacle (réservations).