Sacré Requiem de Duruflé à l’Auditorium de Dijon
Ces
dernières saisons, bien des œuvres vocales sacrées ont été
inscrites au programme de l’Opéra de Dijon : Petite messe solennelle de Rossini, Requiem de Fauré, Passion selon
Saint Matthieu de Bach, Requiem allemand de
Brahms, etc. En octobre dernier a même été donné le Requiem
de Mozart, puis en novembre le Requiem de Campra. C’est dire
si le public dijonnais est habitué à voir des choristes prendre
place sur la scène de son grand Auditorium (et non du Grand Théâtre,
sis à quelques rues de là). Une grande salle qui, en cette fin
d’année, accueille non pas une, mais deux formations de chanteurs
: le Chœur de l’Opéra de Dijon d’un côté, et la Maîtrise de
Dijon de l’autre, deux ensembles (dont seul le premier a un statut
professionnel) qui se frottent là à un répertoire aux influences
et aux colorations sonores multiples. Mais toujours empreint d’une
saisissante solennité.
Un concert censé honorer les voix, donc, mais qui débute sans aucun choriste sur scène. C’est depuis les coulisses, en effet, que les chanteurs interprètent deux Salve Regina, deux courtes pièces aux reliefs sonores éminemment liturgiques. La deuxième d’entre elles est d’ailleurs récente puisque signée du compositeur hongrois Miklos Kocsár, décédé en 2019. Derrière les imposants panneaux de bois les séparant de la scène, de puissantes et sensibles voix féminines (la pièce est écrite pour femmes) servent pleinement les intérêts de ce Salve Regina d’écriture certes contemporaine, mais loin d’être départi des intonations grégoriennes attachées à une telle antienne.
Intonations religieuses et médiévales
Premier à prendre place sur l’estrade dressée en fond de scène, le Chœur de l’Opéra de Dijon met ensuite Poulenc à l’honneur, notamment ses Motets pour le temps de Noël, puis l’une de ses Quatre Prières de Saint-François d’Assise (« Seigneur je vous en prie »). Laquelle pièce, écrite pour voix d’hommes, donne l’occasion à ces messieurs du chœur de Dijon de faire le noble étalage d’une complémentarité entre des tessitures rentrant en céleste fusion. Un Chœur d’Opéra ensuite rejoint par la Maîtrise de Dijon (près d’une cinquantaine de chanteurs, dont de nombreux adolescents), formant un nouveau chœur. Ils convoquent une première fois Maurice Duruflé, avec deux Motets sur des thèmes grégoriens (“Ubi Caritas” et “Tanto Ergum”) interprétés avec un même soin de la cohésion des voix et de l’expression d’une dévotion aussi pieuse que lumineusement sonore. Les différentes tessitures (six en l’occurrence), s'allient dans l’Introït de la Messe des Défunts de Duarte Lobo. C’est, enfin, en tournant le dos au public que les quatre-vingts chanteurs présents sur scène livrent une interprétation dévote d’une autre pièce liturgique, “O Virgo Splendes” (issue du Livre Vermeil de Montserrat, ouvrage de chants religieux datés de la fin du XIVe siècle à destination des pèlerins de ce monastère de l’arrière-pays catalan).
Après cette première partie aux intonations largement médiévales, ayant comme transformé la grande salle de l’Auditorium en quelque lieu sacré, arrive ensuite l’œuvre majeure du programme (certes vouée à maintenir l’auditoire dans une ambiance de ferveur) : le Requiem de Duruflé. Un opus à l’histoire particulière, puisque commandé par le Régime de Pétain en 1941, mais seulement achevée à la fin de la guerre, en 1947. Cette année là, l’œuvre est créée, sous la baguette du chef vichyssois (de naissance, et résistant pendant la guerre) Roger Désormière, dans sa version pour grand orchestre et orgue. C’est cette même version (et non celle pour orgue, ou pour orgue et petit orchestre, écrites ultérieurement par le compositeur), qui est ici livrée au public dijonnais.
Durant les quarante minutes requises pour l’exécution de cette partition largement marquée par l’héritage du plain-chant grégorien (en l’espèce associé “aux exigences de la mesure moderne”, comme l’écrivait lui-même Duruflé), c’est un alliage qui se créé entre chœur et orchestre. Bien vite, et au cours des neuf mouvements, l’auditoire se trouve plongé dans une atmosphère sans cesse aérienne et magnétique, et ce dès un “Introït” marqué par le juste équilibre entre voix masculines et féminines. Sous la baguette experte d’Anass Ismat, les nuances sont pleinement expressives, des crescendi minutieux permettant de dessiner tant une pieuse retenue qu’une puissante ferveur, comme dans le “Kyrie” porté par d’étincelantes voix de femmes. Jusqu’au bout de l’œuvre, le majestueux chœur se fend dans sa globalité d’une performance aussi précise que céleste, avec le souci constant d’une récitation appliquée. Et même si les voix d’adultes portent (logiquement) plus fort et plus loin, les jeunes chanteurs de la Maîtrise ne dépareillent pas dans un ensemble d’où ressort la palette d’émotions attachées au genre du Requiem : recueillement, dévotion, exaltation (au sens religieux du terme).
Deux solistes au diapason
Ne pénétrant sur scène que pour les seuls (courts) instants de leurs sollicitations respectives, les deux chanteurs solistes trouvent l’occasion d’étaler des qualités vocales au service de l’œuvre et de l’atmosphère induite. Dans le “Domine Jesu” comme dans le “Libera Me”, le baryton français Victor Sicard déploie une voix pleine, aux phrasés justement ciselés, et ardemment projetée (quoique la fougue de l’orchestre la couvre par moments un peu trop). Dans le “Pie Jesu” (conclu par un échange avec le violoncelle), la mezzo israélienne Yael Raanan-Vandor offre une voix au timbre robuste, aux mediums charnus et aux aigus lustrés. Deux prestations appréciées, donc, pour des solistes qui laissent au chœur et à l’orchestre le soin de conclure ce Requiem dans un long et ultime diminuendo aboutissant à un triple piano évanescent.
Quelques secondes de silence, puis plusieurs minutes d’applaudissements, ne sont donc pas de trop pour le public, ensuite invité à lui-même chanter l’ultime œuvre au programme du jour (faisant office de bis) : le fameux Cantique de Jean Racine de Gabriel Fauré. Une invitation à laquelle de nombreux spectateurs répondent positivement (aidés par le texte de l’œuvre figurant sur le programme), trouvant là l’occasion de devenir à leur tour acteurs du spectacle aux côtés de quelques choristes venus prendre place entre les rangées de spectateurs. Un rare privilège apprécié à sa juste valeur dans la salle, en témoignent d’ultimes applaudissements tout aussi nourris que les précédents.