Bouquet de mélodies romantiques par Michael Spyres à Strasbourg
De
Rossini à Schoenberg, le programme peut surprendre. Plutôt que de
proposer des groupes de mélodies réunies par compositeur, comme
cela se fait généralement pour un récital chant-piano, Michael Spyres préfère offrir à son public strasbourgeois un bouquet
épars de mélodies diverses et variées. Sont ainsi mélangées des
pièces chantées en allemand, en italien et en français. La
progression chronologique, qui propose pour la première partie des
morceaux de compositeurs nés entre 1792 et 1860 (dans l’ordre
Rossini, Schubert, Bellini, Liszt, Saint-Saëns et Wolf), et pour la
deuxième des musiciens nés entre 1862 et 1874 (Debussy, Richard Strauss, Hahn et puis Schönberg), glisse et se déroule sans le
moindre heurt, même si Michael Spyres convoque des univers esthétiques très
différents. Les pièces sont choisies avec goût et raffinement, le
ténor américain privilégiant des morceaux rares et peu connus du
grand public : la version d'Adelaide
est ainsi celle de Schubert et non de Beethoven, le Ganymed,
écrit sur un poème de Goethe, étant en revanche celui de Wolf et
non de Schubert. Certains morceaux, de toute évidence, sont choisis
de manière à mettre en valeur les immenses facilités de
Michael Spyres dans le registre aigu et dans l’art de la vocalise.
Des deux mélodies de Rossini et Bellini, respectivement "La
lontananza" (la distance, lointaine) et "Quando
incise su quel marmo" (Quand elle grava sur ce marbre),
il ne fait qu’une bouchée.
L’épître de Schubert "An
Herrn Josef Spaun, Assessor in Linz"
recourt à des structures et des procédés compositionnels tout
italiens, que Rossini n’aurait pas reniés et que la vocalité du ténor déploie avec naturel. Le
dernier morceau inscrit au programme, le jubilatoire Cäcilie
de Strauss, permet à Spyres de terminer le récital avec les aigus
éclatants sur lesquels il a construit sa réputation. C’est donc à
toutes les facettes du romantisme européen, du pré-romantisme encore
classique de Rossini au post-romantisme tardif de Schönberg qu’est
convié le public de l’Opéra National du Rhin, lequel connaît
bien Michael Spyres pour avoir été le témoin de ses incarnations
récentes dans le grand répertoire berliozien : Énée des Troyens et Faust de La Damnation, tous deux interprétés et enregistrés récemment à l'Auditorium de Strasbourg en
compagnie de Joyce DiDonato et de John Nelson.
Que
le ténor chante en allemand, en français ou en italien – voire en
anglais comme pour le délicieux premier bis – la diction
de Michael Spyres est un modèle de clarté et de transparence, même
si une légère pointe d’accent apparaît ici et
là en français. Dans toutes les pièces
retenues au programme le legato est élégant, le phrasé conduit.
L’égalité des registres est tout à fait constante pour
cette voix qui rayonne vers l’aigu et
qui a également réussi à conserver de son ancien statut de baryton
les couleurs graves et chaudes. Sa maîtrise de la voix mixte lui permet toutes les audaces
dans le choix de ses nuances.
Sur le plan de l’interprétation, certains compositeurs conviennent certes mieux à ses qualités vocales. De fait, les lignes mélodiques de Hahn et de Liszt gagnent davantage à être interprétées par un ténor de ce type (et l’inoubliable Enfant, si j’étais roi de Liszt donné en deuxième bis !). L’écriture debussyste se contente moins de beauté vocale. Pour certaines pièces, Le Balcon sur un poème de Baudelaire notamment, les textes gagneraient sans doute à être davantage travaillés de l’intérieur, quitte à proposer du texte une lecture moins "léchée" et moins élégante. Il en va autant pour les deux extraits des Brettl-Lieder de Schönberg, chantés avec une élégance qui va peut-être à l’encontre du propos de ces textes.
Cela est aussi imputable au piano discret de Roger Vignoles, impeccable dès lors qu’il s’agit de soutenir l’élégance du chant mais pas suffisamment moteur pour les morceaux à la construction plus complexe. Des Lieder de Richard Strauss, surtout des relativement rares Künstler (l'Artiste) et Es liebte einst ein Hase (Il était une fois un lièvre amoureux), l'auditoire apprécie en revanche l’humour et l’ironie déployées par le chanteur. De quoi laisser impatient dans l'attente des nouveaux défis qu'il se lancera dans les années à venir.
Qualité du chant, justesse, classe et même drôle ! Un magnifique récital de l'excellent Michael Spyres @Operadurhin Bravo @Spikelmyers pic.twitter.com/RLqWZ0vlUI
— Marie Lischka (@Marieneptune) 7 décembre 2019