Un carnaval estival avec Benvenuto Cellini au Festival Berlioz
Après les débuts de Valery Gergiev pour Roméo et Juliette la veille, c'est Sir John Eliot Gardiner qui prend le relais au pupitre
dans la ville natale du génie français. Le maestro britannique
dirige son Orchestre Révolutionnaire et Romantique sur des
instruments de l'époque berliozienne, joint par le Monteverdi Choir
fondé également par l'artiste anglais anobli. La version présentée
est concertante, mais tout de même mise en espace (par la
chorégraphe Noa Naamat), en collaboration avec Rick Fisher aux lumières et Sarah Denise Cordery, chargée des costumes.
Les grandes voix rassemblées se montrent guidées par la nécessité de rendre scéniquement toutes les péripéties comiques d’un livret rocambolesque et aux mille tournures. La scène du Château Louis XI accueillant ce concert se transforme ainsi en un lieu de célébration carnavalesque, où les participants sont emportés par l’esprit de folie, d’ivresse et de dérision (une ambiance construite de longue date dans ce festival et le point d’orgue de festivités, inaugurées cette année par le défilé d’un grand cheval de Troie). L’accoutrement des personnages est classique mais parfois volontiers grotesque, complétant visuellement une image sonore très colorée.
Dès l’ouverture, l’orchestre se lance dans la construction de cette atmosphère joyeuse (l’action ayant lieu à Rome pendant Lundi, Mardi Gras et Mercredi des Cendres) par un jeu très dynamique et énergique, mais porté par une direction respectueuse des nuances écrites dans la partition. Variant entre les extraits dramatiques, comiques ou encore les airs remplis d’une sentimentalité lyrique (surtout le hautbois et la harpe), les passages à la rapidité galopante sont virtuoses et les musiciens affirment une ferme homogénéité sonore pendant la majorité de l’opéra (tout particulièrement dans l’accompagnement des chanteurs). Néanmoins, cet équilibre est déstabilisé dans les moments somptueux des ensembles forte, les cuivres poussant un son trop forcé et perçant, au détriment des autres couleurs orchestrales. Si les instrumentistes donnent du fond à ce contexte festif de l’œuvre, les membres du Monteverdi Choir exploitent encore davantage cet aspect en jouant un rôle clé dans toutes les scènes de foule, qui chante gaiement sur la place publique. L’épisode du saltimbanque en particulier : « Venez, venez, peuple de Rome » est prononcé à une vitesse haletante, mais nettement et toujours rythmiquement précise et synchronisée. La partie chorale masculine met en avant la force des voix retentissantes, tandis que les sopranes se présentent avec une ligne vocale assez expressive. La clameur « des voisines mégères » masquées vers la moitié du premier acte révèle une légère sécheresse des altos dans leur prestation soliste.
Le plateau vocal est mené par Michael Spyres dans le rôle-titre. Son ténor chaleureux et lyrique est pittoresque dans ses expressions musico-dramatiques. Son français est loquace, même dans le sifflement au deuxième acte, tandis que la ligne de chant abonde en détails emplis d’élégance (dans les passages et attaques des notes éloignées), donnant une saveur douceâtre à son interprétation. Bien qu’il perde de la force dans les aigus, il garde une haute expressivité tout au long de la soirée qui atteint son zénith avec l’air lyrico-pastoral « Sur les monts les plus sauvages ». Sophia Burgos incarne Teresa avec sa douce et légère voix de soprano, très agile dans les passages virtuoses qu’elle est fréquemment amenée à parcourir. Son jeu d’actrice est investi, surtout dans l’intimité des duos avec son bien-aimé Cellini. D’autant que son interprétation gagne encore en relief dans la deuxième partie, effaçant le stress de quelques couleurs affadies.
La basse bouffe de Maurizio Muraro (Balducci) démarre sans le volume suffisant devant l’orchestre et une prononciation peu compréhensible, mais la voix se remet graduellement en place au cours de sa prestation (son grave rond est très stable dans le registre grave, mais manque parfois de contrôle du vibrato et de la justesse). Son jeu est vecteur de comédie, et le personnage risible qu’il incarne est aussi victime de la parodie des carnavaliers lors des mimes farcesques du Mardi Gras. Fieramosca interprété par Lionel Lhote représente aussi un caractère bouffon qui essaye à tout prix d’obtenir l’amour de Teresa (alors qu’elle aime Cellini). Il est très convaincu et souverain sur la scène, tant musicalement que dans l’action dramatique. D’autant qu’il demeure attentif aux glissements et éclats comiques dans sa voix de fausset, alors que son instrument résonne fort durant la scène « d’escrime » (« Je suis vainqueur ») chantée à pleins poumons.
Son compagnon Pompeo (Alex Ashworth) est un baryton vocalement vigoureux et au timbre charnu, alors que l’Ascanio d’Adèle Charvet chante sa partie gagnant les sommets solides de sa tessiture, avec un phrasé arrondi et le timbre velouté. Le Pape Clément VII (Tareq Nazmi) représente un personnage dérisoire par sa gestuelle maladroite sur scène (dans l’esprit du carnaval), mais s’avère autoritaire par sa voix de basse barytonnante. Sa grande ligne déployée impressionne et menace, poussant Cellini à finir la statue qui lui a été commandée. Enfin, Peter Davoren est le Cabaretier ridicule, qui chante expressément faux et dont les effets parodiques trouvent leur écho dans l’orchestre.
La soirée s’achève par l’apothéose où l’ensemble des effectifs s’unit à l’hymne aux ciseleurs, avec un Persée de bronze érigé et figé (l’acteur Duncan Meadows), provoquant l’admiration exaltée de l’auditoire qui applaudit les artistes pendant longtemps. Cette production qui débute ce soir, part dans une tournée européenne qui comprend également une date très attendue à l’Opéra royal de Versailles dès ce 8 septembre : réservez vite vos places (ici) pour ce concert qui sera proposé dans le "Palais de marbre rehaussé d'or, décor conçu par Ciceri dans lequel Berlioz lui-même dirigea un concert à l'Opéra Royal le dimanche 29 octobre 1848".