Grand Office pour Charles Quint par La Tempête au Festival Sinfonia en Périgord
Peu avant sa mort, Charles Quint avait imaginé un service funèbre selon ses désirs. Ce n’est pas ce soir une "reconstitution", qui en est offerte mais un parcours spirituel imaginaire, évoquant l'Empereur du Saint-Empire et convoquant des compositeurs qu’il appréciait : pas loin d’une vingtaine dans ce concert, avec une sélection de musiques religieuses essentiellement polyphoniques (cultuelles ou processionnelles) des XV et XVIèmes siècles flamand et espagnol, finement arrangées et articulées. Janequin, Morales, Crecquillon résonnent avec l’Agnus Dei de Reginaldus Libert comme le Magnificat de Cabezon.

Toutes les musiques sont organisées dans une logique de service funèbre, évoquant la vie, la mort, la sereine et allègre félicité éternelle. Le programme est funèbre, mais le projet est de rendre vie et paroles à ces musiques aussi bien qu’à ce lieu, espace étonnant qu’est la cathédrale Saint-Front (du nom de son premier évêque), remontant aux IV et Vèmes siècles et possédant (comme Saint-Marc à Venise) un plan en forme de croix grecque, avec quatre nefs latérales convergeant vers un autel central et cinq coupoles. Le dispositif déployé est ici le suivant : au centre s’installent les musiciens qui sont au cœur de l’accompagnement (orgue, harpe, cordes pincées et frottées) ainsi que le chef qui est placé sur une sorte d’éminence. Les chanteurs et les instruments à vent (cornets, sacqueboutes, flûtes) sont itinérants, selon des parcours qui longent et encadrent les nefs. Ils sont parfois placés au fond des quatre nefs, parfois regroupés autour du dispositif central, vers lui, ou retournés vers le public. Le cheminement, lent et musical, se fait dans la demi pénombre, animé par les lumignons qui éclairent les livres portés par les chanteurs. L’espace, hautement modelé par la musique, l’est aussi par une scénographie d’éclairages (dus à la sensible Marianne Pelcerf), qui nimbent le rituel, transformant l’espace et redimensionnant les volumes (créant de l’intimité et de l’élévation), jouant subtilement avec le lieu (les merveilles absolues des ombres projetées par les lustres byzantins sur les pilastres), et centrant la lumière sur les hommes en bas. Une Lumière qui sert d’écrin pour la musique : déployée selon un rythme lent et en phase.

À la tête des seize chanteurs et de la vingtaine d’instrumentistes (tous mis également en avant et sur un même plan), Simon-Pierre Bestion offre l’image d’un orant (personnage traditionnellement en prière), sans ostentation aucune mais insufflant une énergie saisissante avec ses grands gestes semblant supplier le ciel. Le résultat immerge dans un bain sonore subtil, allant de la psalmodie intimiste et murmurée, à la luxuriance des tutti instrumentaux et vocaux les plus exubérants. La dramaturgie musicale offre une gamme dynamique variée, grâce aux diverses sources et directionnalités sonores. Le son est vivant, il se déplace, il immerge avant de se sculpter lorsque les chanteurs passent à proximité, puis de se fondre à nouveau dans le tissu sonore. À travers ces mouvements, l’unité émane constamment de ce(s) chœur(s) à géométrie variable, où les voix, sans se lisser, parviennent à s’unir dans un geste sonore et un propos collectifs. À travers recueillement, allégresse, compassion, une harmonie se fait mouvante et tournoyante d'accents et d'élans homogènes, une agitation écrite et décrite, une esthétique sensorielle d'harmoniques vocales élevant l'esprit.
Les voix extatiques transportent et se lamentent, exhortent et tournoient, dans un souffle qui transforme La Tempête en un ouragan spirituel.